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CREOLICA


Raphaël Confiant, 2007 : Dictionnaire créole martiniquais-français, Matury, Guyane : IBIS ROUGE EDITIONS, 2 tomes, 1472 pages.

mercredi 17 décembre 2008, par Bollée, Annegret

Le premier dictionnaire du créole martiniquais, longuement attendu, est enfin paru : d’après son auteur, le retard de la lexicographie martiniquaise par rapport à celle d’autres créoles français, dotés de dictionnaires à partir des années 1980, [1] s’explique par « le fait que les créolistes martiniquais ont sans doute été accaparés jusqu’à ce jour par des tâches plus urgentes » (p. 11). Pourtant, la publication d’un dictionnaire est certainement devenue urgente depuis l’introduction, à l’Université Antilles-Guyane, d’une licence, d’une maîtrise et d’un doctorat de « Langues et cultures régionales – option créole » en 1994-96, et plus urgente encore suite à la création d’un CAPES créole en 2001. [2] Étant donné que le dictionnaire de Raphaël Confiant (RCo) est le dernier de la file de dictionnaires auxquels nous avons fait allusion (v. note 1), il nous semble utile de le comparer à ceux-ci, notamment au Dictionnaire créole-français (Guadeloupe) de Ludwig, Montbrand, Poullet & Telchid (LMPT), [3] au Haitian Creole-English Bilingual Dictionary de Valdman et al. (HCED) et au Kwéyòl Dictionary de Sainte-Lucie (KD).

Les sources

La nomenclature du Dictionnaire créole martiniquais-français (désormais DCMF) a été établie « à partir de trois types de sources : deux types principaux (des sources orales en contexte formel/formalisé et des sources écrites) et un type secondaire (des sources orales en contexte informel) » (p. 18). Les sources orales en contexte formel ou formalisé, qui ont également nourri d’autres ouvrages de l’auteur, [4] appartiennent à trois domaines différents : l’oraliture créole (contes, titim, proverbes), l’univers de l’Habitation (ou plantation de canne à sucre) et le magico-religieux (hindouisme créole, quimbois, etc.) (p. 18). RCo regrette de ne pas avoir pu mener des enquêtes dans « maints domaines de la réalité, en particulier celui de la pêche, de l’artisanat ou de la musique » (ibid.). Cela dépassait, dit-il, « les capacités d’un seul individu, d’autant que ce dernier, comme on le verra plus avant, avait pour objectif premier la collecte de données ethnographiques et ne s’est occupé des données lexicographiques qu’en second lieu » (p. 19). Son dictionnaire « étant naturellement conduit à connaître plusieurs éditions ’revues et augmentées’ », on peut espérer qu’afin de combler ces lacunes, les éditions suivantes seront préparées par des équipes.
Les sources écrites, mises à contribution aussi pour les exemples (v. infra), comprennent les textes littéraires (poésie, théâtre, roman) en créole martiniquais, y compris des traductions, depuis Les Bambous. Fables de la Fontaine travesties en patois créole par un vieux commandeur (1846), ainsi que des articles de journaux, des textes imprimés de chansons et la publicité dans les journaux ou sur panneaux (pp. 22-23).
Les mots ainsi recueillis qui n’appartiennent pas au lexique courant, ont été soumis à une procédure de vérification scrupuleuse auprès de dix autres personnes (p. 26 et note 7). Certains termes, qui « existent pourtant bel et bien en créole martiniquais » (p. 26), mais dont le sens n’a pas pu être déterminé avec précision, ont été rejetés. RCo en cite un exemple fort intéressant, le mot sékran et la locution meg kon an sékran ’extrêmement maigre’, attestée également en guadeloupéen : « SÉKAN/SÉKRAN seulement dans l’expression « mèg kon sékan  » : maigre comme un clou. La rumeur populaire dit que « Sékan » ou « Sékran » était une variété de hareng séché très décharné » (LMPT). En fait, le mot en question est une survivance « des parlers français, tel que le normand, qu’utilisaient les colons au moment de la conquête des ’isles de l’Amérique’ » que l’auteur évoque en parlant de l’étymologie (pp. 16-18 et 24), [5] cf. FEW 11, 586a : normand sécran ’homme très maigre, sec d’esprit ou d’argent […]’, séqueran, -ane ’sec, desséché’, Bray sécran ’maigre’, Pont-Audemer, Andelis séqueran, Cherbourg sécran m. ’homme maigre’, etc. Le mot est aussi connu en créole réunionnais : eskran ’fatigué, amaigri’, (n)eskran, leskran ’homme malingre et chétif, avorton’, etc. (v. DECOI, Partie I, sous sécran). [6] Il me paraît souhaitable de publier la liste des mots non retenus (environ une soixantaine, p. 27) pour les mettre à la disposition de la recherche étymologique qui, on le comprend parfaitement, n’était pas parmi les priorités de RCo.

La nomenclature

En croisant « enquêtes de terrain et dépouillement de textes écrits en créole » (p. 14), RCo s’est proposé de tenir compte de l’écosystème langagier complexe de la Martinique :

On comprendra que nous avons résisté à l’idée, séduisante, de travailler sur un « lexique homogène », nous refusant à faire aussi bien un dictionnaire du créole rural qu’un dictionnaire du créole urbain, les deux variétés nous paraissant complémentaires. L’exiguïté du territoire martiniquais fait d’ailleurs que la différence entre monde rural et monde urbain y a toujours été moins marquée que dans les pays plus vastes, et qu’elle est même devenue quasi-obsolète à partir des années 70 du xxe siècle, suite à l’extension du réseau routier et à l’exode rural, c’est-à-dire au moment même où nous commencions notre chantier (pp. 27-28).

Étant le premier dictionnaire de la langue et ne visant pas à l’exhaustivité, on ne reproche pas à l’auteur que le DCMF soit moins complet que le HCED, qui réunit la nomenclature de plusieurs prédécesseurs. Cf. les entrées entre kokoye et kolektè  :

DCMF HCED
kokoye1 (kokòy, koko [N], kòk n. coconut
kokoyé lutte dansée kokoye2n. kind of sexually suggestive dance
kokozaloy 1 mouchoir de tête […] koksidyòz n. coccidiosis
kokozaloy 2 défraîchi (vêtement) koksinèl n. ladybug
koko-zié prunelle, œil, pupille kòktèl n. cocktail
kòl1 n. collar
lakol colle kòl2 (lakòl) n. 1 glue, paste ; 2 difficult question
kola1 n. 1 cola nut ; 2 very sweet soft drink
kola2 n. yellowtail snapper
kola3n. limpkin [bird]
kolaborasyon n. collaboration
kolaboratè n. collaborator, colleague, contributor
kolaboratris n. [f] collaborator, colleague, contributor
kolabore v intr. to collaborate, work jointly
kolan petit poisson […] kolan1 adj. tiresome, obtrusive [person]
kolan2 adj. affectionate
kolan3 n. leotard, tights
kolangèt (koulangèt, […]) interj. 1 wow ! 2 Jesus Christ !
kolasòt n. cockatoo (fr. cacatoès)
kolasyon n. 1 light meal […] ; breakfast
kolasyonnen v intr. to have or eat breakfast
kolbòkò (néol.) flic ; flicaille kòlbòso1 (kalboso[…]) adj. 1 dented, bent, 2 swollen
kolbou (tam.) colbou (plat indo-mart.)… kòlbòso2 (kalboso […]) n. 1 bump, hump. 2 dent
kolé 1 coller kole1 v tr. 1 to glue, paste 2 to attach 3 to connect 4 to cause to
kolé 2 à côté de ; tout près de get stuck. II v intr. 1 to stick. 2 to get stuck
kolé 3 saisir, attraper kole2 adj. 1 sticky 2 close to 3 clinging, tight
kolé 4 collet kole3 n. collar
kolé 5 col kolè n. rage, fury, anger. wrath
kolè colère kòlèg n. colleague
kolé-dé homosexuel kolèj n. private elementary or middle school
kolej collège kolejyen n. private school student
koléjien collégien, fem. koléjièn kolejyèn n. [f.] private school student
koleksyon n. collection [stamps, coins, etc.]
koleksyonnè n. collector
koleksyonnen v tr. to collect, accumulate
kolekte v tr. to collect
kolektè n. tax collector [head of local tax office]
Ce qui saute aux yeux, c’est le plus grand nombre d’emprunts au français dans le dictionnaire haïtien, dont la plupart sont sans doute d’introduction relativement récente. En Haïti, où le créole, devenu langue officielle en 1987, est en train de conquérir les domaines qui étaient autrefois réservés au français, l’enrichissement du lexique, y compris le vocabulaire administratif, scientifique et technique, est inévitable, et le français s’offre tout naturellement comme source de l’emprunt. Le fait souvent souligné que « tout mot français peut devenir à tout instant créole » (p. 14), pose, bien sûr, le problème de délimiter un lexique proprement créole dans le contexte de diglossie avec la langue de base (cf. Bollée, 2007, pp. 122-125), problème plutôt pratique que théorique : dès que l’usage du créole dans tous les domaines de l’écrit est accepté et pratiqué par la société, on va rapidement « créoliser » les mots français [7] dont on a besoin, sans s’inquiéter outre mesure du « flot de francisation qui assaille le créole » (DCMF, p. 12). En Martinique, où le français détient « le monopole de l’écrit » (p. 22), le besoin de créer des termes techniques et scientifiques créoles est évidemment moins pressant. Néanmoins, si on compare la nomenclature du DCMF avec celle du LMPT, force est de constater que les emprunts aux français sont beaucoup plus nombreux dans le premier : parmi les mots retenus par RCo, on ne trouve pas, chez LMPT, diféran, diféranman, diférans, difizé, difizion, diglosi, dijéré, dijesion, dimansion, disiplin, disiplinè, diskalifié, disponib, dispozé, mots dont l’inclusion dans un dictionnaire créole me semble pourtant bien justifiée. Souvent LMPT proposent, dans le « Lexique français–créole » en annexe de leur dictionnaire, un ou plusieurs terme(s) créole(s) comme équivalent(s) du terme pour lequel RCo a enregistré un emprunt :
difisil ’difficile’ : gua. rèd ’raide, dur, pénible, difficile’ ; fòsan ’fatigant, pénible’
difikilté ’difficulté’ : gua. bout-rèd ’difficulté, situation difficile’ ; lanbara ’difficultés, gêne, embarras’ ;
diminié ’diminuer’ : gua. bésé ’baisser ; décliner ; abaisser’ ;
désann ’descendre, abaisser ; déchoir ; décliner, dépérir, etc.’ ;
diskision ’discussion’ : gua. palé ’bavardage, parole’ ;
kozé ’discussion, conversation, bavardage, causerie, parlotte, débat, papotage’ ;
dispit ’dispute’ : gua. babyé ’réprimande, blâme ; querelle, dispute, altercation’ ;
dispité ’(se) disputer’ : gua. babyé ’se disputer, se quereller ; gronder, réprimander, blâmer’ ;
trapé tren ’se quereller’

Heureusement, RCo semble avoir abandonné sa tentative d’enrichir le créole par l’introduction de néologismes de son cru qui lui ont valu des critiques sévères (cf. Bollée, 2007, p. 125). Le Dictionnaire des néologismes créoles qu’il a publié en 2001 n’est pas mentionné dans le DCMF, et très peu de ces néologismes ont été retenus : de 50 termes proposés dans la lettre A (pp. 31-36), cinq seulement réapparaissent dans le DCMF. [8] Évidemment, l’auteur s’est rendu compte que le créole « hyper-basilectal », appelé, selon ses propres mots, « créole-dragon » par le grand public (p. 13), n’a pas de place dans un dictionnaire qui veut être pris au sérieux. [9]

Homonymie et polysémie

En ce qui concerne le nombre de mots enregistrés, le DCMF se situe entre le HCED et ses voisins des Petites Antilles. Pour la lettre B, j’ai compté 1352 entrées dans HCED, 900 dans DCMF, 584 dans LMPT et 238 dans KD. Pourtant, ces chiffres, qui donnent l’impression trompeuse d’une grande précision, doivent être interprétés avec prudence. La lemmatisation de RCo diffère sensiblement de celle du HCED et est totalement différente de celle de LMPT et KD. Ces derniers suivent le principe traditionnel de regrouper les différentes acceptions d’un mot polysémique sous une seule entrée, tandis que RCo propose une nouvelle vedette pour chaque nouveau sens, ce qui augmente, on s’en doute, considérablement le nombre d’entrées :

[…] nous avons parfois [10] placé sous deux (ou plusieurs) entrées différentes des mots dont le sens est très proche et qui, s’ils relevaient de langues anciennement écrites comme le français ou l’anglais, figureraient sous une seule entrée. Ce qui peut paraître comme une entorse aux règles lexicographiques habituelles a été fait dans un but précis : si le Martiniquais est friand de dictionnaires français, il n’a que très rarement l’occasion de manipuler de tels ouvrages concernant le créole, et encore moins pour son propre dialecte, puisqu’il doit, en cas de besoin, se rabattre sur ceux des dialectes guadeloupéen, guyanais, voire haïtien. Il nous a semblé donc que pédagogiquement, il était nécessaire de mettre deux ou trois entrées distinctes pour un certain nombre de mots pourtant quasi-synonymes (p. 30).

J’avoue que cette justification de l’« entorse » apparente, qui en est vraiment une (soit dit en passant que la métaphore me semble particulièrement bien choisie), ne m’a nullement convaincue. D’abord, l’auteur semble suggérer qu’il y a des règles lexicographiques valables pour la description de langues « anciennement écrites » comme le français et l’anglais tandis qu’avec les créoles on peut faire n’importe quoi. La polysémie étant un phénomène universel, tout locuteur – créole ou autre – a l’intuition qu’un seul mot peut avoir différents sens, et même devant des cas d’homonymie comme fr. carrière ’lieu où l’on taille des pierres’ (< lat. pop. *QUADRARIA) et carrière ’voie où l’on s’engage’ (< it. carriera < lat. pop. * CARRARIA) il cherche à établir un lien sémantique. Deuxièmement, je ne vois pas du tout l’avantage pédagogique du principe de confondre polysémie et homonymie. Pour prendre un exemple concret, comparons l’entrée / les entrées BARÉ dans LMPT et DCMF :

LMPT :

BARÉ
(1) barrer, empêcher de. ♦ Ou ka baré-mwen  : Tu m’empêches de voir. (2) barricader, barrer. ♦ Yo baré pon-la  : Le pont a été barré. (3) arrêter. ♦ Si i ka vin, baré-y. S’il vient, arrête-le. (4) surprendre. ♦ Jou baré-mwen an bal-la  : Le jour m’a surpris en plein bal. (5) ♦ baré van  : clouer le bec (Voir : Balan). ♦ Pa lésé-y palé, baré van a-y  : S’il parle, cloue-lui le bec.

DCMF :

baré 1
barrer, bloquer
An fon nwèsè lannuit, lanmizè-ya ka baré chimen-mewn. (Joby Bernabé, Konm.)
Au plus obscur de la nuit, la misère me barre la route.
exp. fok pa two ta baré’w : il ne faut pas se laisser prendre de vitesse
baré 2
arrêter
Ki té simié séré an kann, ka baré moun pou vòlè yo. (G. de Vassoigne, F. K.)
Qui préfèrent se cacher dans les cannes pour arrêter les gens et les voler.
baré 3
surprendre
exp. jou baré mwen (lit. L’aube m’a surpris) : je me suis réveillé tard

L’entrée dans LMPT, bien structurée par le numérotage des significations, montre avec la même clarté pédagogique que les trois entrées proposées par RCo que le mot en question peut être employé dans différents contextes avec différents sens. Notons en passant que les exemples donnés, dont nous reparlerons, peuvent être choisis (ou fabriqués) avec le but de mettre en relief les différences structurales entre français et créole : Yo baré pon-la. ’Le pont a été barré’ illustre le fait que, pour exprimer une action dont l’agent n’est pas nommé, la construction créole avec la troisième personne du pluriel correspond au passif français.
Pour ce qui est du HCED, les auteurs ont fait un grand effort pour distinguer entre polysémie et homonymie ; ils ont opté pour deux ou plusieurs entrées seulement si les significations ne montraient pas de lien sémantique (cf. les exemples kokoye, kola, kolan ci-dessus). Les homonymes appartenant à différentes classes grammaticales ont toujours été dégroupés, par exemple kolbòso adj. et n. ; kole v tr., adj. et n. (HCED, p. xxiii).

Les variantes

Tous les lexicographes sont d’accord pour noter scrupuleusement les variantes phonétiques, « extrêmement nombreuses en créole comme dans toutes les langues qui vivent principalement dans l’oralité » (DCMF, p. 29) ; ce principe concerne aussi les variantes morphologiques, avec ou sans agglutination de l’article français. On comprend que RCo a dû résister « à l’envie d’indiquer laquelle, pour chaque entrée, [lui] semblait la plus fréquente, faute d’enquêtes de terrain sur ce sujet » (ibid.). En effet, de telles enquêtes sont des entreprises de longue haleine, et la seule qui a été réalisée jusqu’à présent dans le domaine des créoles français d’Amérique est l’Atlas linguistique d’Haïti (Fattier, 1998) qui, pourtant, ne semble pas avoir été mis à contribution pour la présentation des données dans le HCED. Les auteurs des dictionnaires en question ont pris soin de citer les variantes sous la vedette principale et de les reprendre à leur place à l’ordre alphabétique avec renvoi à la vedette, mais dans le cas du DCMF ce travail – fastidieux, il est vrai – n’a pas reçu toute l’attention qu’il mérite. Les bévues sont nombreuses, on trouve :
– des variantes qui manquent dans l’entrée principale : abolision sous labolision ; ban, bay sous ba 1 ; ban sous bay 1 ; bann-red sous labann-red ; bonm sous labonm ; charité sous lacharité ; ladéfans sous défans (1 et 2 ?) ; ak sous rak ; akent sous atjenng (1 et 2 ?) ; akosté sous kosté ; amak sous ranmak ; amensi sous mensi  ;
– des variantes sans renvoi : batay sous labatay ; bwason sous labwason ;
– des renvois à des entrées inexistantes : absé voir labsé ; adision voir ladision ; andirans voir landirans ; anmay voir manmay ;
– deux entrées pour le même mot, sans renvoi : abòdab et abowdab ’abordable’ ; abòdé et bòdé ’aborder’ ; abri et labri ’abri’ ; ba 2 et ban 3 ’pour’ ; bas 2 et labas ’basse’ ; bay 2 et labay ’baquet’ ; blag et lablag ’blague’ ; djè 1 et ladjè ’guerre’ ;
– deux entrées au lieu d’une seule : bonè et bonnet 1 ’bonnet’ ; bonè 2 et bonnè 1 ’bonheur’ ; briz et labriz ’brise’ ; dévenn et ladévenn ’deveine’ ; diférans et ladiférans 1 ’différence’ ; labann et lébann ’bande (de’), labowdel et bowdel 2 ’désordre, bordel’. Les trois variantes ba, ban et bay avec le sens ’donner’ auraient dû être réunies dans une seule entrée, avec explication concernant les conditions de leur emploi.

La microstructure

L’utilité d’un dictionnaire ne se mesure pas seulement d’après sa macrostructure, le nombre de mots enregistrés, mais surtout à la microstructure, la richesse des informations fournies sous chaque entrée (cf. Bollée, 2007, pp. 126-129). Dans cette perspective, le HCED surpasse nettement tous les autres dictionnaires créoles : il enregistre 4 articles bat [’battre’], [11] dont le premier, bat1, d’une longueur de 251 lignes, comporte 6 acceptions du verbe simple, 4 du verbe réfléchi bat kò li et 48 expressions, [12] 77 significations en tout, chacune illustrée par un, parfois plusieurs exemple(s) ; le DCMF, en revanche, offre 5 entrées, chacune avec un seul exemple : bat 1 ’battre, frapper’ ; bat 2 ’cogner, frapper un instrument de musique (en général un tambour)’ ; bat 3 ’autant que ; pareil que’ ; bat 4 ’travailler’ ; bat 5 ’tourmenter’, et deux locutions sous bat 1 : fini bat ’perdre la partie, être défait, mourir’ et pa bat kò’w ! ’ne t’en fais pas’. Trois mots composés, écrits avec trait d’union, sont séparés du verbe à cause de l’ordre alphabétique : bat-dous ’(se) masturber’ ; bat-dousè ’masturbateur ; branleur’ ; bat-zié 1 ’battement d’yeux ; clin d’œil’ et bat-zié 2 ’fraction de seconde’.
La macrostructure très modeste du KD de Sainte-Lucie est compensée par une microstructure qui l’emporte également sur le DCMF, cf. les entrées bizwen dans les deux dictionnaires :

KD :

bizwen (var. bizen, bouzwen, bouzen) v to need. Nou bizwen lajan. We need money. n need. I ka potjiwé tout bizwen nou. He provides all of our needs. (syn. labwizen) [< Fr. besoin] fè bizwen to use the toilet, to relieve oneself, to defecate or urinate. Mwen kay fè bizwen mwen. I’m going to the toilet. (euphemism ; see also : alé an wazyé, chyé, kaka)
ni bizwen same as bizwen.

DCMF :

bizwen 1
avoir besoin de
Nou pa bizwen pies ti fouyaya isiya. (R. Confiant, Maris.)
Nous n’avons pas besoin d’une petite fouineuse ici.
var. bouzwen
bizwen 2
besoin
var.bouzwen

Nous ne nous attarderons pas ici sur le mode de présentation des données dans le DCMF, qui, comme le montre l’exemple cité, entraîne un gaspillage énorme de papier (v. aussi les entrées baré reproduites ci-dessus). Avec une mise en page plus professionnelle, à recommander vivement pour de futures éditions, le dictionnaire pourra facilement être publié dans un seul volume.

Classification grammaticale

HCED et KD indiquent la classe grammaticale de chaque mot et chaque acception, tandis que RCo, tout comme LMPT, a renoncé à catégoriser les entrées, « étant conscient que cette question devra bel et bien être tranchée un jour par ceux qui nous succéderont dans la tâche d’établir le lexique du créole martiniquais » (DCMF, p. 29). En attendant, on peut se faire une idée de la polyfonctionnalité des lexèmes créoles, dont beaucoup peuvent « tout à la fois fonctionner comme ’nom’, comme ’verbe’ et comme ’adjectif’ » (ibid.), à l’aide des gloses françaises (v. ci-dessus les entrées bizwen 1 et 2), à condition que l’on les utilise avec prudence. Par exemple, les mots bat 1, 2, 4 et 5 sont apparemment des verbes, glosés par ’battre’, ’cogner’, ’travailler’ et ’tourmenter’, tandis que la glose de bat 3 ’autant que ; pareil que’ peut suggérer qu’il s’agit d’un adverbe. Or, l’exemple qui illustre cette acception, montre clairement qu’il s’agit également d’un verbe, marqué par la particule temporelle té : Sa té bat vidé mèkrédi-dé-sann ’C’était pareil que le défilé carnavalesque du mercredi des Cendres’, la traduction littérale étant : ’Cela battait le défilé carnavalesque’.

Marques d’usage

On peut féliciter RCo d’être le premier à affecter nombre de mots des marques ’rare’, ’archaïsme’, ’néologisme’, ’ironique’, etc. : dans la lettre B, 53 mots ont reçu la marque ’archaïsme’, 42 ’rare’, 29 ’néologisme’, 3 ’argotique’, 7 sont des ’termes ironiques’ et 4 appartiennent au ’langage enfantin’. Il n’y a qu’un seul – ce qui peut étonner – qui est considéré comme ’péjoratif’ : bitako ’campagnard, bouseux’. Parmi les néologismes, on trouve trois termes proposés dans le Dictionnaire des néologismes (v. supra) [13] : bandonnay ’abandon’, bannzil ’archipel’, bay-alé ’préface ; éditorial’, et quatre emprunts : bidjétizasion ’budgétisation’, bidjétizé ’budgétiser’ (bidjétè ’budgétaire’ n’ayant pas reçu la marque néol.), biwokrasi ’bureaucratie’ et biwokrat ’bureaucrate’. Pour ce qui est des archaïsmes, s’il ne s’agit pas de désignations de référents tombés en désuétude comme babacha ’plat créole traditionnel’, barik ’unité de mesure du sucre de canne’, batjé ’pot de chambre’, bizbonm ’haut de forme’, RCo indique un ou plusieurs synonymes modernes avec le même sens, par exemple palamandanng ’gifle’, syn. kalot, do-lanmen ; patapa ’crécelle ; personne bavarde’, syn. rara ; voumtak ’parapluie’, syn. parapli. Il y a pourtant quelques mots marqués comme archaïsmes où le synonyme moderne manque, par exemple béréjenn ’aubergine’, labiyman ’vêtement’, laflenm ’peur’.
RCo est parfaitement conscient du fait que les marques en question sont entièrement dépendantes de son « ancrage personnel dans l’écosystème linguistique martiniquais » (p. 28) : « Pour que les notions d’« usuel », « archaïque », « argotique », « péjoratif » ou encore « néologique » aient une pertinence scientifique, il eût fallu procéder à des enquêtes intergénérationnelles extensives et procéder ensuite à des calculs de fréquence d’emploi, choses qui étaient hors de notre portée mais qui devront nécessairement prendre place dans les travaux des lexicographes martiniquais de demain. S’agissant d’un tout premier dictionnaire, il importait, en quelque sorte, de déblayer le terrain » (ibid.). 

La description sémantique

Le DCMF, comme les autres dont nous parlons ici, étant un dictionnaire bilingue, la description sémantique se fait normalement à l’aide de traductions (cf. les exemples cités). RCo a recours aux définitions seulement pour les référents inconnus en France (végétaux, animaux, objets, coutumes, etc.), par exemple akoma ’arbre de la famille des Sapotacées qui pousse dans la forêt méso-xérophile. N.Sc. Mastichodendron fitidissimum Cronq’ ; alpagat (arch.) ’sorte de sandale rudimentaire utilisée autrefois par les gens du peuple’ ; aparey 2 ’éperon métallique fixé sur les éperons naturels des coqs de combat’. [14]
Une spécialité du DCMF sont les extraits d’ouvrages ethnographiques ou littéraires en français, souvent d’une demi-page ou même plus, qui dépassent largement les renseignements que l’utilisateur cherche dans un dictionnaire de langue, mais qui lui permettent de découvrir maints aspects de la faune et la flore, de l’histoire et de la culture locale de la Martinique ; cf. par exemple sous angajman ’pacte avec le diable’, aso-tè ’musique d’accompagnement des travaux agricoles collectifs’, bal-boutjé ’danse créole’, bébé ’(arch.) costume de carnaval’, [15] ben ’bain magique visant à guérir quelqu’un d’une maladie ou à le désenvoûter’. [16] Les citations ont été ajoutées de façon non-systématique, le DCMF n’ayant pas été conçu comme dictionnaire encyclopédique.

Les exemples

Le choix d’exemples qui doivent illustrer le sens et l’usage des mots dépend, comme on sait, du public auquel le dictionnaire est destiné. Valdman et al. ont choisi leurs exemples dans une optique pédagogique : « The purpose of the illustrative examples is to help the dictionary user capture the precise meaning, to learn the grammatical properties of the term, and to show typical sentence structure » (HCED, p. XXV). [17] La plupart des exemples du HCED ont été forgés par les membres de l’équipe de rédaction, qui ont eu soin que les phrases illustratives « do not contain terms (other than proper names) which are not found as headwords elsewhere in the dictionary » (ibid.). La conception du DCMF est sensiblement différente : les deux tiers des exemples étant des citations d’auteurs, RCo se rapproche plutôt des grands lexicographes français, de Littré aux auteurs du TLF en passant par Paul Robert, pour qui la valeur d’un dictionnaire réside, entre autres, dans les beaux exemples littéraires signés d’auteurs célèbres. [18]

La majorité de nos entrées sont exemplifiées à l’aide de phrases littéraires, de phrases d’auteur et non d’énoncés oraux. Cela peut de prime abord paraître paradoxal s’agissant d’une langue telle que le créole qui continue jusqu’à aujourd’hui à vivre principalement dans l’oralité et dont la face écrite, quoique relativement ancienne, a toujours été marginalisée, le français détenant le monopole de l’écrit à la Martinique, tout comme en Guadeloupe et en Guyane. Ce primat donné par nous à la langue écrite tient au fait que nous avons eu la volonté de nous poser en dictionnariste. Ce qui revient à dire que nous avons voulu, en quelque sorte, donner vie aux mots (et qui est mieux à même de le faire que la littérature ?) (p. 22).

Si on se penche sur les exemples et leurs traductions françaises – souvent très libres – on constate que RCo, en tant que « dictionnariste », s’adresse à un public de locuteurs natifs du créole martiniquais, ou en tout cas aux lecteurs qui connaissent parfaitement cette langue et sa grammaire. L’utilisateur qui parle un autre créole, disons le réunionnais, le mauricien ou le seychellois, désireux d’approfondir ses connaissances rudimentaires du martiniquais, aura quelques problèmes. Commençons par une petite expérience à partir des entrées au début de la lettre B :

ba 1 donner
La nou kay si yo ka ba yo libèté-yo  ? (I. et H. Cadoré, Av.)
Où allons-nous si on leur donne la liberté ?

Pour vérifier le sens de kay, ’aller’ d’après la traduction, le sujet de l’expérience cherche sous kay et trouve 6 entrées avec les significations suivantes : (1) ’maison’, (2) ’rocher émergé à faible profondeur…’, (3) ’voir key’ [sous key il trouve : ’particule exprimant le futur proche’], (4) ’morphème à valeur modale exprimant le futur proche…’, [19] (5) ’chez’ et (6) ’(arch.) oiseau colombiforme…’. Il reste perplexe et étudie l’exemple suivant :

ba 2 pour
Ek tanbouyé-a ka bat ba lalin ka lévé nan sézonn. (Monchoachi, Nst)
Et le tambourinaire frappe pour la lune en rut.

Passons sur « la lune en rut » et vérifions le ou les sens du mot sézonn. On ne trouve que sézon avec renvoi à lasézon, et sous lasézon ’(abs.) saison’. Pas de rut. Notre cobaye, qui connaît bien le créole des Seychelles, est très déçu parce qu’en seychellois an sezon signifie ’en chaleur’ ; il s’attendait donc à découvrir un parallèle intéressant.

ba 3 permet/permettez ; laisse/laissez
Ba mwen ba zot aprézan listwa pié-fwomajé. (F. Kichenassamy, C. D. D.)
Permettez-moi maintenant de vous raconter l’histoire du fromager.

Quoique le mot pié-fwomajé manque dans le DCMF, le cobaye comprend sans problème que cela doit être le fromager. Il trouve cependant qu’en tant que protagoniste d’une histoire, l’arbre aurait dû avoir droit à une entrée dans le dictionnaire. En revanche, ce qui intrigue le chercheur, c’est la traduction de ba par ’raconter’. Il vérifie les sept entrées ba : pas de signification ’raconter’. Il cherche dans HCED, avec succès : la signification 8 du verbe haïtien bay (var. ba, ban) est ’to tell’, exemple : Vin chita pou ban m istwa a. Come and sit down to tell me the joke.

ba 5 bât
Man las di-w tiré ba-a ba milé-a dépi nou ritounen.
Je suis fatigué de te dire d’enlever le bât du mulet dès notre retour.

Encore un sens de ba qui n’est pas retenu dans le dictionnaire : l’exemple ba milé-a ’du mulet’ montre que ba peut aussi signifier ’de’.
Ce qui peut décourager l’utilisateur créolophile qui ne maîtrise pas le créole martiniquais, ce sont moins les exemples en soi – souvent très simples pour ne pas dire banaux [20] – mais les traductions qui ne les rendent souvent pas transparents parce qu’elles s’écartent trop du sens littéral, par exemple :

Latè pa ka pòté zot dépi zot ni an ti plas adan ladministrasion. (sous ladministrasion)
Vous ne vous sentez plus pisser dès que vous avez un petit poste dans l’administration.

Mwen toujour pasé vi an mwen ka fè gwo jé èvè ladévenn. (sous ladévenn)
J’ai toujours passé ma vie à tourner la déveine en dérision.
(l’expression fè gwo jé manque dans le dictionnaire, ainsi que la variante èvè d’èvek)

Fimen kon sansann-alé jiktan labadijou té kasé. (sous labadijou)
Fumer comme un pompier jusqu’à ce que le crépuscule tombe.

Le cas du pié-fwomajé absent fait penser à une méthode employée souvent par les métalexicographes pour évaluer l’exhaustivité de la nomenclature : on vérifie si tous les mots attestés dans les exemples cités y figurent comme entrées. Cette méthode fait découvrir de nombreuses lacunes dans le DCMF, en voici quelques-unes : lè-wa ’roi’ (sous la 3) ; vié lajan ’quelque argent’ (sous labank) ; souch ’souche’ (sous labapen) ; bonmaten-an-midi-oswè, traduit par ’permanent’ (sous labreng) ; koutviyé ’inspecter ?’ (sous lafanmin) ; adada ’peser ?’ (sous lagiyonn) ; soté-maté ’faire des bonds ?’ (sous babò) ; kou-tala ’cette fois’ (sous bagaj 2) ; lenbé ’chagrin ?’ (sous bat 5) ; lajoupa ’cahute’ (sous bati). Ces omissions sont pourtant moins graves que l’absence de certains mots grammaticaux ou de certaines formes :
épi ’et’ et ’avec’ (sous bab 1, labalet, lablag, etc.)
ni ’il y a, il existe’ (sous babad 1, badjolè, etc.) : le DCMF n’offre que ni ’avoir’
brennen kò’w ’remue-toi’ (sous bab 2) et ba kò-yo menm ’à eux-même’ : 
le DCMF n’enregistre que 2 ’se, s’ et a oublié les autres formes du pronom réfléchi
kouzen’w lan ’ton cousin’ (sous ladiférans) : lan manque ; w est glosé ’tu ; vous’
cf. aussi balkon’w la ’votre balcon’ (sous balkon 1)
chimen-mwen ’ma route’ (sous baré 1) : on ne trouve que mwen 1 ’je’, mwen 2 ’me’ et mwen 3 ’moi’
Sans doute aurait-il été avantageux d’inclure dans le dictionnaire un petit abrégé de grammaire comme on les trouve dans LMPT (pp. 17-38) et HCED (pp. vii-xv).

L’orthographe

On regrette également l’absence d’une présentation du système graphique adopté pour le DCMF, surtout si on tient compte du fait que, tout comme les autres dictionnaires en question, il est destiné à devenir un ouvrage de référence pour étudiants et enseignants. [21] Dans l’optique de la codification du créole, le système graphique utilisé dans le premier et seul dictionnaire du créole martiniquais, devient forcément une orthographe dans le sens strict du terme. Cet aspect étant passé sous silence dans l’introduction du DCMF, je cite l’avant-propos du "Guide Capes créole" La graphie créole, publié par Jean Bernabé en 2001 (on s’étonne de ne pas trouver ce titre dans la bibliographie du DCMF) :

La création d’un CAPES pour une discipline, quelle qu’elle soit, tout à la fois couronne une activité universitaire et stimule cette dernière. Quand cette discipline est le créole, c’est-à-dire une langue minorée dont l’aménagement est en cours, l’emploi d’un système standard d’écriture constitue un seuil minimum, à partir duquel gérer la nouvelle donne (p. 13).
RCo utilise, bien sûr, le « système graphique élaboré par le professeur Jean Bernabé de l’Université des Antilles et de la Guyane, système connu sous le nom de ’Graphie-GEREC’ » (p. 12). Ce système, basé initialement sur la graphie de l’haïtien établie par l’ONAAC (cf. HCED, p. v), a été adopté également par LMPT et KD, on trouve donc – à une exception près [22] – les mêmes graphies dans HCED, LMPT et KD. Or, au lieu de s’en tenir à un système qu’il a lui-même propagé avec un certain succès, le GEREC ne cesse de le remanier : une des dernières « améliorations », proposée par Bernabé en 2001 et adoptée par RCo, est à mon sens parfaitement inutile. Jusque là, tout le monde, y compris RCo dans son Dictionnaire des néologismes créoles, était d’accord de rendre le [j] toujours par le graphème ׀y׀ donc adisyon, diksyonnè, pyé, etc. ; dans le DCMF on lit maintenant adision, diksionnè, pié, etc. La justification de ce changement que donne Jean Bernabé, qui s’est consacré à la défense et illustration de la « déviance maximale par rapport au français » (cf. Reutner, 2005, pp. 77-80), est stupéfiante :
Avec le jeu des variantes ‌‌׀y/i׀, nous sommes dans un cas idéal d’élaboration d’une règle écolinguistique. Idéal parce que deux paramètres sont simultanément respectés : la spécificité des deux langues en contact et la nécessité de dépasser cette spécificité dans une règle commune. En d’autres termes, la variante ׀y׀ peut être retenue sans difficulté en position initiale et finale pour le créole (rappelons que ces positions, dans le cadre du français, apparaissent comme porteuses de connotations « étrangères »). Par contre, la variante ׀i׀ peut être retenue en position intérieure pour le créole parce qu’elle permet à la graphie de cette langue d’être dans une certaine continuité avec celle du français (Bernabé, 2001, p. 37).

Conclusion

« Tout dictionnaire reflète, malgré le fait que le lexique d’une langue soit un bien commun, la personnalité de celui qui l’établit » (p. 28). En effet, le DCMF est l’ouvrage « d’un écrivain, et d’un écrivain d’abord créolophone » (ibid.) qui puise à cœur joie dans la production littéraire en créole, y compris ses propres œuvres. C’est l’œuvre d’un ethnographe dans laquelle l’utilisateur – ou lecteur – trouvera des informations fort intéressantes sur la culture et l’histoire de la Martinique qu’il n’aurait pas cherchées dans un dictionnaire de langue. Pour préparer les éditions futures, qu’on souhaite nombreuses, l’auteur devrait former une équipe et travailler avec des linguistes expérimentés en lexicographie.

Références bibliographiques

Armand, Alain, 1987 : Dictionnaire kréol rénioné-français, Saint-André (Réunion), Océan Éditions.

Baggioni, Daniel, 1987, 2e édition 1990 : Dictionnaire créole réunionnais-français, Paris, Éditions D’Artrey.

Baker, Philip & Hookoomsing, Vinesh A., 1987 : Diksyoner kreol morisiyen. Dictionary of Mauritian Creole. Dictionnaire du créole mauricien, Paris, L’Harmattan.

Bentolila, Alain (directeur), 1976 : Ti diksyonnè kreyòl-franse. Dictionnaire élémentaire créole haïtien-français, Paris, Éditions caraïbes.

Bernabé, Jean, 2001 : La graphie créole, Martinique, Ibis Rouge Éditions, coll. "Guide Capes créole".

Bollée, Annegret, 1993-2007 : Dictionnaire étymologique des créoles français de l’Océan Indien. Première Partie : Mots d’origine française, 3 vol. ; Deuxième Partie : Mots d’origine non française ou inconnue, Hamburg, Buske, coll. "Kreolische Bibliothek" 12 et 12/I (= DECOI).

Bollée, Annegret, 2007 : Beiträge zur Kreolistik, Hamburg, Buske, coll. "Kreolische Bibliothek" 21.

Confiant, Raphaël, 2001 : Dictionnaire des néologismes créoles, tome I, Petit-Bourg (Guadeloupe), Ibis Rouge Éditions.

DECA = Dictionnaire étymologique des créoles d’Amérique, en préparation sous la direction d’Annegret Bollée, Dominique Fattier et Ingrid Neumann-Holzschuh.

DECOI v. Bollée, 1993-2007.

D’Offay, Danielle & Lionnet, Guy, 1982, Diksyonner kreol-franse. Dictionnaire créole seychellois-français, Hamburg, Buske, coll. "Kreolische Bibliothek" 3.

Fattier, Dominique, 1998 : Contribution à l’étude de la genèse d’un créole : l’Atlas linguistique d’Haïti, cartes et commentaires, 6 vol., Villeneuve d’Asq, Presses Universitaires du Septentrion.

FEW v. Wartburg.

Kwéyòl Dictionary, 2001, Compiled by Paul Crosbie, David Frank, Emanual Leon, Peter Samuel, Edited by David Frank, Ministry of Education, Government of Saint Lucia, Castries, Saint Lucia (= KD).

Ludwig, Ralph, Montbrand, Danièle, Poullet, Hector & Telchid, Sylviane, 1990 : Dictionnaire créole-français (Guadeloupe), avec un abrégé de grammaire créole, un lexique français-créole, les comparaisons courantes, les locutions et plus de 1000 proverbes, Paris, Servedit / Éditions Jasor (= LMPT).

Mondesir, Jones E. (Carrington, L.D. éditeur), 1992 : Dictionary of St. Lucian Creole, Berlin / New York, Mouton de Gruyter.

Poullet, Hector, Telchid, Sylviane & Montbrand, Danièle, 1984 : Dictionnaire des expressions du créole guadeloupéen, Fort-de-France, Hatier-Antilles.

Reutner, Ursula, 2005 : Sprache und Identität in einer postkolonialen Gesellschaft im Zeitalter der Globalisierung, Hamburg, Buske, coll. "Kreolische Bibliothek" 20.

Valdman, Albert, 1981 : Haitian Creole-English-French Dictionary, Bloomington, Indiana University, Creole Institute.

Valdman, Albert (directeur), 2007, Haitian Creole-English Bilingual Dictionary, Bloomington, Indiana University, Creole Institute (= HCED).

Wartburg, Walther von, 1922 sq., Französisches etymologisches Wörterbuch, 25 vol., Bonn / Basel, Zbinden (= FEW).


[1] Par exemple Bentolila, 1976, ainsi que Valdman, 1981 et 2007, pour l’haïtien ; d’Offay & Lionnet, 1982, pour le seychellois ; Poullet, Telchid & Montbrand, 1984, et Ludwig, Montbrand, Poullet & Telchid, 1990, pour le guadeloupéen ; Baker & Hookoomsing, 1987, pour le mauricien ; Baggioni, 1987, 2e édition 1990, et Armand, 1987, pour le réunionnais ; Mondesir & Carrington, 1992, pour le sainte-lucien.

[2] V. p. 12 et Reutner, 2005, pp. 75-130.

[3] Sauf pour le dictionnaire de Confiant, nous utilisons par la suite les mêmes abréviations que dans le DECA en préparation.

[4] Cf. pp. 18-19 ; il s’agit de : Les Maîtres de la parole créole, 1995 ; Contes créoles des Amériques, 1995 ; Dictionnaire des titim et des sirandanes (devinettes et jeux de mots du monde créole), 1998 ; Le Grand Livre des proverbes créoles, 2005 ; Commandeur du sucre, 1994 ; Régisseur du rhum, 1999 ; La Dissidence, 2002.

[5] Cf. pp. 24-25 : « Profitons du fait que nous parlons de questions étymologiques pour dire que si nous avons pu consulter nombre de dictionnaires des ’patois’ normand, vendéen, poitevin etc., si nous nous sommes plongés dans le Dictionnaire caraïbe du Père Breton, nous n’avons pu en faire de même s’agissant des langues africaines, nous contentant de dépouiller le très intéressant article de Serge Josephau, ’Africanismes dans le créole’ (1997) et certains travaux d’Alain Anselin ». Aucun dictionnaire des dialectes français n’apparaît dans la bibliographie qui ne mentionne également pas les travaux d’A. Anselin.

[6] L’étymologie a été proposée par Patrice Brasseur qui a pu résoudre beaucoup d’énigmes lorsqu’il s’est penché sur les mots d’origine inconnue dans la Partie II du DECOI.

[7] À Sainte-Lucie, ce sont parfois des mots anglais, par exemple agwéman ’agreement’ (fr. ’convention, contrat’), akòdans ’in accordance with’ (fr. ’conformément à’), akonplis ’accomplice’ (fr. ’complice’), diskasyon ’discussion’ (la prononciation reflète celle du mot anglais).

[8] Quelques exemples seront cités ci-dessous à propos des marques d’usage.

[9] Cf. à cet égard le point de vue de LMPT : « Les néologismes utilisés par un petit nombre de militants de la cause créole, tel que ’koutasyon’ signifiant ’écoute attentive’, ’andidannizé’ signifiant ’intérioriser’ n’ont été que rarement introduits dans le lexique pour des raisons de déontologie, car il était hors de question, dans un ouvrage qui n’est pas fondamentalement une création, de vouloir imposer certains termes, et donc de violer la langue » (p. 12).

[10] J’ai l’impression que c’est « souvent » plutôt que « parfois » ; un sondage rapide a montré qu’avec une lemmatisation traditionnelle, le nombre d’entrées se réduirait de 900 à 800 environ.

[11] Notons que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des dictionnaires créoles : l’entrée «  bat4 v intr. to flap Drapo a ap bat nan van an. The flag is flapping in the wind. » fait double emploi avec le sens II 3 de l’entrée bat1, illustré avec le même exemple.

[12] Par exemple : bat dlo ’to have difficulties, problems’, bat do ’to pat on the back, cajole’, bat estaba ’to make noise, create a disturbance’, bat je ’to blink’, bat lakanpay ’to be dying, in the throes of death’, bat lokobe ’to persevere, keep afloat ; to be suffering and fighthing off death’.

[13] Sauf erreur de ma part ; les mots sont difficiles à trouver parce que le Dictionnaire des néologismes est un dictionnaire français–créole.

[14] On a même droit à des recettes de cuisine, v. sous chwob : liqueur créole (shrub en F.R.A.). La recette est la suivante : « Dans un litre de rhum blanc, mettre à macérer des épluchures fines d’orange durant trois jours et trois nuits, puis transvaser le liquide, le sucrer avec du sirop de sucre très clair. Y mettre à tremper trois pruneaux coupés, une gousse de vanille et de la cannelle, filtrer dans du papier-filtre. Ajouter une cuillerée de café fort ». (La cuisine antillaise, Edit. Dés.).

[15] « Le costume comprend une chemise brodée très lâche, de petits pantalons brodés de dentelles et d’un [sic] bonnet d’enfant. Le tout est enjolivé de couleurs brillantes. Comme la chemise est courte et laisse les jambes nues, il y a là une belle occasion de se parer de bas de couleur et de pantoufles élégantes » (M.-Th. Lung-Fou, Le carnaval aux Antilles, 1979). Le numéro de page n’est pas indiqué – ceci vaut aussi pour toutes les autres citations.

[16] « Les bains occupent une grande place dans la magie antillaise. Bain « démarré » pour la « clarification des affaires », où feuillages et essences pour l’essentiel se côtoient ; mais encore bain pris à l’embouchure, les jours de pleine lune, si possible à la Saint-Sylvestre, bain purificateur évacuateur des influences néfastes de l’année précédente, sauvegarde de bonne fortune et de bonheur. Bain de chance, bain préventif, bain curateur… » (H. Migerel, La migration des zombis).

[17] Le même principe a guidé les auteurs du KD : « Generally speaking, each entry has an example sentence […]. The compilers sought to use illustrative sentences that reinforced the meaning of the word and gave clues to the way the word is naturally used in context » (p.vii).

[18] C’est sans doute une des causes du plaisir que les Français trouvent à la lecture de dictionnaires. Je me souviens d’une publicité dans le métro à Paris qui m’a beaucoup impressionnée en tant qu’Allemande pas très friande de dictionnaires de ma langue maternelle : une personne, confortablement installée dans sa baignoire, tient le nouveau Petit Robert en main et lit « le grand roman des mots ».

[19] L’utilisateur qui, comme l’auteur de ces lignes, est linguiste avec déformation professionnelle marquée, se pose la question de savoir quelle est la différence entre kay et key, étant donné que ce dernier ne figure pas dans l’entrée kay comme variante phonétique.

[20] Par exemple : Mwen pa enmen labiè. ’Je n’aime pas la bière.’ (sous labiè) ; Jòdi i dan ladétres. ’Aujourd’hui, il est dans la détresse.’ (sous ladétres) ; Ou pa ni asé ladres. ’Vous n’avez pas assez d’adresse.’ (sous ladres 2) ; Sa ou ka wè adan laglas-la ? ’Que vois-tu dans le miroir ?’ (sous laglas) ; Edwa pa bat ou ? ’Edouard ne t’a pas battu ?’ (sous bat 1).

[21] Cf. à cet égard la préface du KD : « This dictionary is published by the Ministry of Education of St. Lucia to meet the need for an authoritative, affordable reference guide on Creole » (p. iii).

[22] Valdman et al. qui se conforment au décret sur l’orthographe officielle en Haïti ne marquent pas le [e] fermé avec l’accent aigu, ce que font les autres lexicographes, v. kole ’coller’ vs. kolè ’colère’.

Bollée, Annegret (annegret.bollee@t-online.de)