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Des dialectalismes de France dans les créoles ?

jeudi 4 juin 2009, par Chauveau, Jean-Paul

Cette interrogation est née d’une difficulté ressentie par un connaisseur des dialectes de la France de l’Ouest, lors de la lecture des épreuves du Dictionnaire étymologique des créoles français de l’Océan Indien (DECOI), devant des explications de termes créoles comme des emprunts à ces dialectes. Trouver des mots dialectaux implantés à des milliers de kilomètres de leur aire d’origine est à la fois passionnant et inquiétant. C’est passionnant, parce que cela justifie d’une manière inattendue les prospections dans les parlers dialectaux. Mais immédiatement se pose la question : comment est-ce possible ? Comment se fait-il que des unités lexicales seulement usitées dans des cercles géographiques et sociaux très restreints aient pu s’exporter sur de si longues distances, à des milliers de kilomètres ? Dans la France contemporaine, les parlers dialectaux ne s’emploient qu’entre familiers et compatriotes et sont quasiment exclus lorsque l’on sort du milieu rural au sein duquel on vit. Il est sûr que la situation sociolinguistique était différente il y a quelques siècles de ce qu’elle est devenue à l’époque contemporaine. Mais il y a l’évidence forte et multiple que la langue qui s’est expatriée au 17e siècle, c’est le français commun et pas tel ou tel dialecte. On connaît quelques exemples de communautés qui ont émigré en groupes soudés et qui ont conservé l’usage de leur dialecte de départ, comme les Wallons du Wisconsin partis à la fin du 19e siècle. Mais c’est l’exception qui confirme la règle. Ce que l’on constate, c’est que les groupes français expatriés parlaient français et même assez souvent un français d’excellente facture, comme le montre le cas du Québec (cf. Wolf 1991). Lorsque l’on étudie la genèse de ces français expatriés, on ne trouve aucun premier rôle à faire jouer aux dialectes, au point même que certains se demandent si les immigrants étaient dialectophones et le nient pour la plupart d’entre eux (cf. Asselin & Mc Laughlin 1994). La situation a priori est encore plus défavorable au dialecte dans le cas des créoles. Pourquoi les dialectalismes se seraient-ils mieux conservés dans les îles des Caraïbes ou des Mascareignes que sur le continent américain ? Comment se pourrait-il que des dialectophones n’aient pas transmis leurs dialectalismes à leurs enfants, mais que d’autres les aient appris à leur main-d’œuvre servile ? Telles sont les réflexions que suscitait en moi la lecture des épreuves du DECOI en voyant les étymologisations par les dialectes français. J’ai donc choisi d’examiner quelques données qu’on suppose d’origine dialectale grappillées dans les dernières lettres que j’ai relues, G, H et J.

Mon inquiétude rappellera peut-être le scepticisme affiché par Gertrud Aub-Büscher, qui avait d’abord été dialectologue puisque sa thèse avait été un « essai de dialectologie vosgienne », comme l’indique le sous-titre (Aub-Büscher 1962). Venue à l’étude des créoles, elle affirmait ’combien tout le jeu de la localisation précise des formes créoles qui seraient venues des dialectes français, pour tentant qu’il soit, est un jeu dangereux’ (Aub-Büscher 1970, p. 362) ; ’Même pour des formes gallo-romanes qui n’ont jamais pénétré dans la langue nationale, les tentatives d’une localisation exacte restent souvent vaines, ou risquent d’être de simples hypothèses, grâce au manque de documentation suffisante sur les dialectes français à l’époque en question’ (ibid. 364).

Si j’éprouve quelque scepticisme devant les explications par l’emprunt aux dialectes, c’est pour de tout autres raisons que celles avancées par Gertrud Aub-Büscher. On manque très certainement d’information détaillée sur les dialectes du 17e siècle, mais, chaque fois qu’on a les moyens de comparer une documentation de l’époque classique et une documentation de l’époque contemporaine, on voit de si fortes similitudes qu’on est en droit de penser que les informations recueillies aux 19e et 20e siècles fournissent une bonne approximation de la situation dialectale des siècles antérieurs et que la situation linguistique n’a pas été totalement bouleversée en deux siècles. En outre si l’on compare systématiquement français commun, français régionaux, français expatriés et parlers dialectaux, on se donne une base suffisamment riche et variée pour qu’elle permette des reconstructions de la situation linguistique de l’époque classique. Autrement dit, l’information dont on dispose, pour peu qu’elle soit correctement analysée, ne peut pas nous conduire systématiquement à l’erreur. D’autre part, s’il est impossible de déterminer avec certitude tous les apports régionaux à l’intérieur des français expatriés, quelques expériences ont montré qu’on peut pointer assez précisément la zone dialectale qui a marqué le plus fortement le lexique de certaines de ces colonies : le Poitou pour l’acadien (Massignon 1962 ; Charpentier 1994), le Perche pour le Québec de l’est (Chauveau & Lavoie 1993), la région de Saint-Malo-Granville pour les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon (Chauveau 1987). Les créoles ne peuvent pas être traités, quant à leur situation française de départ, comme foncièrement différents des français expatriés en Amérique. Il y a donc tout lieu d’employer les mêmes considérations pour envisager les relations entre créoles et dialectes. C’est plutôt l’hypothèse contraire à celle de Gertrud Aub-Büscher qui, me semble-t-il, doit être envisagée : s’il y a des dialectalismes dans les créoles à base française, on doit pouvoir les localiser assez précisément.

Mais ce n’est pas la première opération à mener. Il faut d’abord s’assurer de la qualité et de la vraisemblance des dialectalismes. Quoique cela soit le plus souvent implicite, il semble aller de soi que le recours étymologique aux dialectalismes n’est qu’une solution de secours. Lorsqu’il s’agit d’expliquer un créole de l’Océan Indien vye « vieux », on le rattache sans aucune difficulté à son synonyme français vieux, étant donné la correspondance régulière entre les voyelles labiales du français et leurs homologues non-arrondies en créole. Et on ne cherche pas à relier l’adjectif créole à son équivalent parfait, le représentant français du latin vĕtus , viez « vieux », qui s’est conservé dans les parlers dialectaux du nord de la France (FEW 14, 364a, vĕtus). Si l’on voulait rattacher l’adjectif créole à ce dernier, il faudrait expliquer les raisons qui auraient permis à quelques locuteurs d’imposer leur particularisme aux dépens d’un item lexical commun à tous les locuteurs francophones. Cette solution est rejetée parce qu’elle est beaucoup moins vraisemblable que l’autre. Pour que l’option dialectale soit envisagée, il ne faut pas qu’elle se heurte à un obstacle fort.

1) Des dialectalismes douteux
La première considération, me semble-t-il, est qu’on ne peut pas comparer les données créoles à celles des 36000 parlers dialectaux de France. Si l’on envisage les parlers dialectaux de France indistinctement comme un réservoir d’étymons, grâce au Französisches Etymologisches Wörterbuch, de Walther von Wartburg (FEW), on trouvera toujours quelque chose de ressemblant susceptible de faire l’affaire. Mais toute similitude n’est pas bonne à prendre. Une étymologie pour être recevable implique un scénario de filiation ou d’emprunt crédible, tel que les liens formels et sémantiques aient été portés et transmis par des locuteurs vraisemblables. Il y a tout lieu de prendre comme principe que seuls les dialectes des zones d’émigration outremer doivent être pris en compte et que les autres ne peuvent être utilisés que comme témoignages des latitudes de formation morphologique ou d’évolution sémantique.Voici d’abord deux exemples pour lesquels on ne peut que se poser des questions [1].

grillot
○ mau †grillot « grillon » 1822 (B/H).

Le problème est qu’une telle forme est bien connue en France, mais comme une réalisation dialectale, caractéristique des parlers de Bourgogne, Champagne, Lorraine et Franche-Comté, du type grillet, qui est connu depuis le 12e siècle et qui est répandu sur toute la moitié est de la France, des Ardennes jusqu’à la Méditerranée (FEW 4, 268b, grillus). Les dialectes en cause ont peu de rapports avec les îles de l’Océan Indien et en outre la forme est marquée par l’ouverture régulière dans ces dialectes du [e] tonique en [ɔ]. On pourrait songer à sauver l’étymon en remarquant que les dictionnaires du français ont enregistré frm. grillot [m.] « grillon » (Furetière 1690-Trévoux 1732), mais en consultant ces dictionnaires on peut voir que ce n’est pas en entrées, mais en variantes, avec grillet, sous grillon. Mais il y a une difficulté supplémentaire, c’est que les autres îles de l’Océan Indien (La Réunion, Rodrigue, Seychelles) dénomment le grillon par un type lui aussi d’origine régionale : grelet, qui est sans rapport autre que très lointain chronologiquement avec ce type grillot. Il est peu probable que deux dénominations dialectales aient été en concurrence. Est-ce que ce grillot ne pourrait pas être une variante dénasalisée de grillon ?

groumi, groumeter
○ réu. krum/-e, krom/-e (rare) « mâcher qch qui croque sous la dent (noyau, cartilage) ; craquer sous la dent (par ex. légumes qui sont insuffisamment cuits) » (RChLex 77, 740-1 ; ALR 322N ; DBaDCR), « croquer, broyer ; être croustillant » (AArDic).

Robert Chaudenson a rattaché ce mot à une famille lexicale de Wallonie : liég. verv. groumi « grignoter, mâchonner » ; liég. vèye groumiote « vieille grignoteuse ». Liég. verv. groumeter « grignoter, manger peu et souvent », liég. groumtiner « grignoter » (FEW 16, 416, krume). En fait ces données wallonnes ont déjà été classées par Wartburg sous grūmus (FEW 4, 288a, 288b) : NO. grumer « mâcher vite et comme en cachette » B 1777, Bouillon « broyer avec les dents » (1789), etc., puisque la conservation du [u] au lieu de l’antériorisation en [y] est un trait caractéristique du wallon. Cette famille lexicale s’étend sur la Wallonie, le nord de la Champagne et la Franche-Comté. Mais les formes créoles n’ont de similitude formelle qu’avec les formes wallonnes de cet ensemble. Or, parmi les premiers colons de Bourbon dont l’origine est connue (RChLex 462-3), aucun n’est originaire de Wallonie. Les locuteurs qui auraient pu être les porteurs et les introducteurs de ce mot sont invisibles, de sorte que le rattachement étymologique reste spéculatif.

Il y a deux articles (ganguiller et guinguer) dans les épreuves du DECOI qui renvoient à des données dialectales dont on voit très mal comment elles ont pu concrètement marquer la langue des premiers colons. Dans le premier cas, les formes dialectales invoquées ont l’inconvénient de n’être attestées que dans les dialectes de l’est de la France, de la Lorraine à la Provence (FEW 4, 51-2, gang-), toutes régions qui ont fourni peu d’immigrants outremer. Dans le second cas, les parlers dialectaux qui possèdent le type lexical allégué comme étymon sont éparpillés sans aucune cohésion ; ce sont des produits secondaires d’apparition indépendante. Etant donné les liens sémantiques entre ces mots, il peut être intéressant de les envisager ensemble :

guinguer
○ sey. gẽgã « testicules ; fesses » (D/L).
ganguiller
○ réu. galań/galãge « ballotter » (DBaDCR) ;
○ réu. galigãgã « se dit de tout ce qui bat comme le gong de la cloche ; les testicules du bœuf ou du bouc » (RNaLex) ;

Le réunionnais galigãgã a tout l’air d’un composé dont le deuxième élément doit être rapproché de sey. gẽgã. La comparaison avec argot valseur m. « postérieur » et valseuses f. pl. « testicules » et la suffixation en –ant montrent que ce second élément doit reposer sur un verbe *guinguer/ganguer « remuer, s’agiter, danser, se balancer ». On a quelques attestations d’un tel verbe : Art. guinguer v.n. « bisquer », hbret. « donner des coups de pied » RCelt 5, 222, Châtell. « sauter, danser (des animaux qui ont des gaîtés) » ; faire une partie de guingue. Hmanc. guingancer « agiter vivement dans l’eau pour laver ». GrCombe fare guingluche « pousser sa bille avec la main (t. de jeu) » (FEW 16, 38a, gîga). La donnée de Châtellerault est confirmée par VienneN. [gẽg] ind. prés. 3 « (le poulain) prend ses ébats » (ALO 582 p 8).

Il est clair que ces données ne dessinent pas un ensemble à forte cohésion géographique : Picardie, Bretagne, Poitou, Maine, Franche-Comté. L’ensemble cohérent, c’est celui du verbe français ginguer « ruer (d’une bête) » (Ménage 1694—Larousse 1930), répandu dans les parlers dialectaux de France, sauf dans le nord du domaine d’oïl, aux sens de « ruer », « folâtrer », « gambader », « s’ébattre », « sauter », « danser », etc. (FEW 16, 37b-38a). Les formes à radical guing- résultent d’une assimilation consonantique régressive. Mais, tandis qu’elles sont rares dans les dialectes (j’ai cité ci-dessus tous les exemples enregistrés par le FEW), elles sont fréquentes dans les dérivés français, tels que frm. guinguet adj. « aigrelet », de guingois loc. adv. « de travers », guinguet adj. « trop court ou trop étroit (d’un habit) », guinguette f. « petit cabaret de faubourg ou de banlieue où l’on va boire, manger et danser aux jours de fête » (FEW 16, 39b et 40a). Ce fait n’oblige plus à considérer le mot créole comme emprunté à un dialecte d’autant plus impossible à déterminer que c’est ginguer qui est passé dans les français d’Amérique (Dionne 1909 ; Poirier 1995). L’assimilation consonantique ginguer > guinguer a pu se faire sur place, de façon indépendante, de même que dans les quelques parlers dialectaux qui la connaissent, ou bien elle a pu se faire sous l’influence de la famille lexicale française. En tout cas, les parlers dialectaux ne sont sûrement pour rien dans la forme particulière qu’a prise le verbe dans l’Océan Indien : guinguer.

Quant aux formes composées de La Réunion, on peut supposer une composition originale galer + guinguer. Dans un cas, un interfixe -i- (cf. mfr. frm. galimâfrée < galer + mafrer FEW 17, 480a, par exemple) maintient l’intégrité des deux éléments : gal- + interfixe -i- + guingant > *galiguingant, avec assimilation galigangant. Dans l’autre cas, l’initiale du second élément est affectée par une haplologie consonantique et une assimilation vocalique : galer + guinger > galanguer. Le premier élément de ces composés est afr. mfr. galer « s’amuser, mener joyeuse vie » (FEW 17, 473a, wala), verbe qui a été engagé dans de nombreux tels croisements (cf. ibid. 477-481, par exemple frm. galaffre, galipette, galvauder). On peut citer, dans le même champ sémantique, le croisement avec balancer qui aboutit à galancer « v.a. balancer ; v.r. se balancer » attesté dans trois aires indépendantes, dans les parlers du nord-ouest d’oïl, en francoprovençal et en acadien (voir http://www.atilf.fr/few/bilanx.pdf), de sorte qu’on doit supposer que ce croisement s’est produit de façon indépendante dans les trois aires. La multiplicité et l’indépendance de tels croisements rendent possibles ces hypothèses.

2) Les dialectes témoignent pour la langue populaire

Il y a lieu de ne pas considérer les parlers dialectaux comme des entités autonomes et autosuffisantes. Ces unités linguistiques ont certainement leur identité propre, en ce sens qu’elles possèdent un certain nombre de traits spécifiques (phonétiques, morphologiques, lexicaux) assez prégnants pour qu’on puisse identifier avec précision n’importe quel texte dialectal de quelques lignes. Mais cela ne signifie pas la clôture des parlers dialectaux sur eux-mêmes. Ces parlers sont reliés par des liens plus ou moins forts avec d’autres instances de la langue, ils sont insérés dans un réseau de relations sociales qui leur impriment des marques qui sont repérables. Ce qui est dialectal n’est pas obligatoirement autochtone. Il y a nombre d’emprunts implantés dans les parlers dialectaux. Il en résulte que les données dialectales peuvent témoigner pour autre chose que les dialectes, par exemple ils peuvent témoigner pour des phénomènes morphologiques ou sémantiques de la langue populaire ou familière.

a) d’un point de vue morphologique

joujoute
○ réu. zuzut « jouet, joujou » (ALR 486 ; DBaDCR).

Effectivement les parlers dialectaux français attestent bien un tel type, légèrement différent du français familier joujou. Selon le FEW (5, 39a, jŏcāri), ce type, sous des vocalismes variants, est attesté en Normandie : faire joujoute « se jouer » DT, Bray id., en Champagne : Rethel aller joujoute « aller jouer (des enfants) », Sommepy « aller promener » T, en Picardie : aller joujoute « aller promener », boul. jujute m. « jouet ; personne qui aime à jouer à des jeux d’enfant », en Flandre : rouchi aller jeujeute « aller jouer (des enfants) ». A s’en tenir à cette liste d’attestations, on voit qu’il n’y a pas identité totale entre le mot créole et l’une de ces attestations dialectales où le mot apparaît surtout comme second élément de locutions verbales. Mais il est peu avisé, me semble-t-il, d’établir une relation de filiation, de dépendance entre les deux types de données, de les insérer dans une chaîne de transmission de l’un de ces dialectes jusqu’au créole de la Réunion. Il faut tenir compte du fait que, malgré l’absence d’attestations anciennes, le type est connu çà et là à travers une vaste zone du nord de la France. Surtout, il n’est pas difficile de trouver en français familier ou populaire des types rédupliqués semblables, dans lesquels l’adjonction d’une finale -t peut prendre une valeur morphologique, pour former le féminin : loulou m./ louloute f. « (terme d’affection) » (TLF 11, 14b), toutou m. « chien »/ toutoute f. « chienne » (TLF 16, 425b), ou encore comme élément de liaison dans la dérivation : froufrouter, glouglouter (Nyrop 1908, p. 204 ; glouglouter dp. 1569, TLF ; froufrouter dp. 1876, TLF). On a la bonne fortune, dans le cas qui nous occupe, de trouver, en français même, des attestations de : joujoute f. « amusement puéril, querelle sans importance » (1950, Vialar, TLF 10, 757) et de : joujouter (sans référence, Nyrop 1908, p. 204 ; manque TLF). Les données dialectales réunies par le FEW ont l’intérêt de documenter l’extension de ce processus de la langue populaire dans le cas de joujou. Les données dialectales témoignent pour la langue populaire plutôt que pour les dialectes eux-mêmes. Les glossaires dialectaux des 19e et 20e siècles qui sont les sources du FEW décrivent la langue populaire d’un lieu et celle-ci comprend, à côté des éléments proprement autochtones du dialecte, un certain nombre de populismes qui ont été intégrés à la parlure locale par les échanges avec l’extérieur, de même que des emprunts à la langue savante. Voir comme excellent exemple d’occitanisme diffusé par la langue populaire jusque dans les parlers dialectaux d’oïl : hosto/hosteau « maison », « prison », « hôpital », « lit » (FEW 4, 494-5, hŏspĭtalis).

b) d’un point de vue sémantique

gage
○ réu. gaz : don/poz/depoz lë gaz « donner la bague de fiançailles » (ALR 407N).
gager
○ réu. gaže « donner la bague de fiançailles » (ALR 407N/rare).

Les dictionnaires sont muets sur de tels sens et le FEW n’enregistre de correspondants qu’en Basse-Normandie et en Haute-Bretagne : sair. [gāž] « corbeille de mariage ». Canc. gages f. pl. « arrhes du marché ; bijoux de fiançailles » (FEW 17, 441b, *waddi) et, pour le verbe, Valognes gagi « remettre la bague de fiançailles » (FEW 17, 442b). On peut élargir l’assise de cet emploi : Jersey gage n. m. « cadeaux d’autrefois donnés par le fiancé à la fiancée, souvent demi-douzaine, ou une douzaine, de cuillères en argent ainsi que la bague des fiançailles » (Le Maistre 1966) et même au Canada : Québec gage n. m. « anneau de fiançailles » (Dionne 1909), gages pl. « anneau de fiançailles, (surtout) de mariage » (GPFC), gager v. tr. « donner un anneau à (une femme) comme gage d’amitié, en vue d’un mariage prochain » (GPFC). On voit bien que le sens du substantif est la lexicalisation d’emplois dont on trouve des exemples dans la littérature moderne :

’Acceptez, pour gage de ma foi, cet anneau que je vous donne’ (1666, Molière, Frantext)
’à qui as-tu donné cet anneau pour gage de ta foi ?’ (1698, Mme d’Aulnoy, Frantext)
’Recevez vîte, mon époux, cet anneau que je porte depuis mon enfance, et que je vous donne en gage de ma foi.’ (1788, Florian, Frantext)
’ils portoient, pour gage de leur foi mutuelle, ou un cœur d’or, ou une chaîne, ou un anneau’ (1803, Chateaubriand, Frantext)
’Et, dans sa joie, il m’a chargé de t’offrir un gage... cet anneau des fiançailles.’ (1850, Labiche, Frantext)
’l’étudiant passa une bague
à l’annulaire de la jeune morte
voici le gage de mon amour
de nos fiançailles’ (1913, Apollinaire, Frantext)
’Une bague apparaît. — Je crains que ce soit un rubis appartenant à votre fille, reprend la jeune maîtresse d’école en baissant les yeux. Votre petit-fils me l’a offerte en gage de « fiançailles officielles »’ (1998, Nicole de Buron, Frantext).

Il s’agit de simples métonymies. Entre les diverses façons de donner un témoignage, un gage, de son engagement affectif, il y en a une qui est socialisée et ritualisée, le don d’un anneau. Et l’anneau prend le nom du témoignage qu’il est censé donner. Il n’est nullement nécessaire que ces lexicalisations soient liées entre elles. La permanence du rite permet de penser que chacune d’entre elles soit indépendante des autres.

gason
○ réu. gazõ « morceau, (petit) bloc, petit tas (de riz froid qui s’agglomère en refroidissant, de maïs, etc.) (RNaLex ; RChLex 81, 178, 772 ; ALR 337N, 340N, 586N ; DBaDCR) ;
►réu. gazõ-dëri « quantité de riz ; boule de riz froid et durci » (DBaDCR).

Etant donné qu’il nous est dit que ’on use surtout du mot pour les blocs que forme le riz froid’ (RChLex 178), on doit supposer que le sens fondamental de ce substantif est « petit amas de grains de riz cuits et agglomérés », donc quelque chose comme un gros grumeau ou une petite motte, un motton.

Il s’agit clairement d’un emploi métaphorique du fr. gazon « motte de terre carrée couverte de gazon que l’on découpe à la pelle, soit pour faire des pelouses artificielles, soit pour construire des cabanes, des digues, des rives, etc. », ainsi que le définit le TLF et qui est connu depuis le Roman de Renart (ibid.). On peut, comme le fait Robert Chaudenson (RChLex 772), expliquer le sens réunionnais par des métaphores parallèles, telles que mfr. gazon « glaçon » (Anjou 1605), angevin gâzon « glaçon flottant », Vaux [gazõ] « glaçon », etc. (FEW 17, 544a, *waso). Mais si Canada gazon (de glace) « glaçon flottant sur les rivières » (GPFC ; Poirier 1995 ; Massignon 1962, p. 132 ; ALEC 1248) poursuit de manière évidente la métaphore signalée en Anjou depuis le début du 17e siècle, le mot réunionnais ne se rattache à aucune des métaphores réunies par Wartburg dans le paragraphe (I.1.c.) de l’article *waso. C’est une métaphore originale à classer parmi les néologismes du créole, d’autant plus qu’on a la certitude que la métaphore est restée vivante, consciente, à La Réunion, du fait qu’elle y a déclenché la même évolution sémantique pour réu. gob « mottes de terre (qui recouvrent la meule) » et réu. gob dë ri « bloc de riz froid ». Les métaphores dialectales ne font qu’attester les fortes potentialités métaphoriques de gazon qui sont susceptibles d’être activées ici et là par des populations populaires francophones. Mais le mot créole n’est pas un dialectalisme.

grain/ graine

○ lou. grẽn « testicules » (AVaDLC) ; haï. id. (AvaDic) ; gua. id. (LMPTDic) ; ○ réu. gren, grẽ « testicules (humains et animaux) » […] ; ○ mau. gren « testicules » […] ; ○ rod. id., grẽ « id. »[…] ; ○ sey. gren « id. ».

Comme l’a dit Robert Chaudenson, ’le fait que les parlers créoles des Antilles et de l’Océan Indien aient conservé le même terme, prouve qu’il devait être beaucoup plus courant au XVIIe siècle qu’on pourrait le croire sur la foi des attestations fournies par les dictionnaires’ (RChLex 779). En fait les dictionnaires (cf. FEW 4, 234a, granum) ne documentent en ce sens que le masculin, alors que c’est le substantif féminin graine qui se rencontre dans les deux zones créoles, le masculin n’étant signalé qu’à La Réunion et à Rodrigue. L’absence de graine dans un dictionnaire spécialisé comme Guiraud (1978) laisse penser cependant que le mot n’a pas dû être des plus communs. D’autre part, l’absence du mot dans les relevés dialectaux, à se fier au FEW, n’est pas étonnante étant donné la chose dénommée et la pruderie des glossairistes. Aussi ne faut-il pas surestimer la seule attestation dialectale que j’aie pu retrouver et qui est angevine. Elle est dans Verrier & Onillon (1908) et elle a échappé au FEW : Toutlemonde graines f. pl. « testicules ». Il faut très certainement en rapprocher le diminutif dans une série de dénominations métonymiques : Nantais guernete f. « membre viril pour l’enfant » Vivant, qui complète : Mauges guernette « petit objet ; pénis des petits garçons » (FEW 4, 229b). Ces trois données se rencontrent dans la même région, mais il ne faut pas non plus accorder trop d’importance à cette localisation. Car le mot est également attesté au Canada : graine f . « membre viril » (GPFC), « (vulg.) organe de la copulation chez l’homme et les animaux » (Dulong 1989), « organe de l’étalon » (deux points au nord de Montréal, un point dans l’Ontario, ALEC 402). Cet ensemble de parallèles laisse supposer que la métaphore originelle a dû être plus répandue ou bien qu’elle peut se recréer indépendamment.

juguler

○ réu. zigil/-e « causer des difficultés, embêter, lasser » (ALR 194N/rare ; AArDic) ; ○ mau. id. « se trémousser, s’agiter, ne pas rester en place » (B/H) ;
► réu. zigiler « individu querelleur, fauteur de trouble » (ALR 171/26, 194N/08).

Le verbe se relie très évidemment à fr mod. juguler « importuner à l’excès » (fam. Desgranges 1821—Lar 1931, auch StendhNap 1, 122), normand id., havrais « vexer », Cancale « ennuyer, taquiner », Saintonge « importuner » (FEW 5, 60a, jŭgŭlare). Mais il ne s’agit que d’un sens spécial de l’emprunt au latin jugulare « égorger, assassiner ; fig. confondre, terrasser, abattre » qui est attesté continûment dans les dictionnaires français comme terme familier, de Flick 1802 à Larousse 1931, au sens propre de « étrangler, égorger » (ibid.). On voit bien comment, sur le modèle de frm. tuer, il a pris ce sens de « importuner ». Mais il faut bien noter que ce sens secondaire, apparu d’abord dans la langue des faubourgs de Paris, selon Desgranges, a été employé par Stendhal en 1842 et que, de Bescherelle 1845 à Larousse 1948, les dictionnaires l’ont enregistré sans réticence. On peut noter qu’il a eu un synonyme et paronyme contemporain, lui aussi d’origine populaire et beaucoup mieux diffusé dans les parlers dialectaux : canuler v.a. « ennuyer, importuner » (1830, FEW 2, 216a, cannula ; depuis Larousse 1867). La première attestation de ce verbe est commentée ainsi ’ce langage vulgaire est le langage usuel du général Sébastiani, brave soldat, à l’enveloppe rude’, c’est-à-dire comme un populisme introduit dans le monde de l’élite sociale à la faveur de la promotion comme ministre d’un ancien général d’Empire. En tout cas la diffusion de juguler « importuner » dans les parlers locaux, telle qu’elle est rapportée par le FEW, paraît avoir suivi un cheminement très particulier : Le Havre, Normandie centrale (Moisy1887),Cancale, Saintonge, qui a tout l’air d’une voie maritime. Après la descente de la Seine, de Paris à l’embouchure, le mot a fait du cabotage le long des côtes françaises, puis il a traversé les océans. L’introduction du mot à La Réunion par la langue populaire de la marine paraît bien plus vraisemblable que celle d’un dialectalisme implanté par les premiers colons du 17e siècle, ce qui impliquerait pour ce verbe d’origine savante une vie cachée, bien improbable, d’au moins deux siècles dans l’oralité dialectale de la France.

3) Les dialectes témoignent pour un français régional

Les parlers dialectaux évoluent parallèlement au français et sous son aile pour ainsi dire. Par exemple on sait que le système des démonstratifs a complètement été remodelé entre l’ancien français et le français moderne, au cours de la période du moyen français. Il n’y a pas de parler dialectal qui maintienne l’ancien système avec son opposition en cist vs. cil. Les dialectes se révèlent souvent archaïques par rapport au français, mais aussi souvent ils accélèrent ou généralisent des évolutions restées incomplètes en français (p. ex. la morphologie du pluriel nominal). On n’a pas intérêt à traiter systématiquement les faits d’arrière-garde comme des faits d’archaïsme typiquement dialectaux. Il y a à considérer que la différenciation diatopique inclut parallèlement des dialectes et des français régionaux, c’est-à-dire des dialectes primaires et des dialectes secondaires pour employer une autre terminologie, et qu’entre ces deux registres de variation diatopique il n’y a pas de cloison étanche. Il est déconseillé de traiter toutes les variantes diatopiques comme des dialectalismes. Un certain nombre de types lexicaux ont mené une double vie, dialectale et régionale, ils ont vécu parallèlement dans le français de l’Ouest et dans les dialectes de l’Ouest. Il est possible parfois de savoir lequel est premier, du mot français ou du mot dialectal, mais pas toujours. L’essentiel est d’envisager à titre de première hypothèse que le mot expatrié peut avoir été emprunté aussi bien à un français provincial qu’à un dialecte.

Considérons d’abord le cas de mots déjà bien étudiés dans cette perspective, notamment par le Dictionnaire des régionalismes de France (DRF) :

galettoire
○ seych. galtwar « plaque utilisée pour la cuisson de galettes » (D/L).

Evidemment ce substantif est bien répandu, parallèlement à d’autres dénominations, dans les parlers dialectaux de Basse-Normandie, Haute-Bretagne et Maine (FEW 4, 43b, *gallos), mais il l’est aussi dans le français des mêmes régions, comme le dit le DRF (513-4) et la lexicographie française l’a enregistré depuis Littré 1865. Les atlas linguistiques (ALBRAMms et ALN 1007) permettent de voir que la forme dialectale est [galˈtwεr] ou [galεˈtwεr], avec la prononciation régulière du suffixe. Mais la forme seychelloise correspond à la prononciation du français régional [galˈtwaʁ].

goule
○ mau. lagul « goulot » (B/H), « from a bottle (of drinking) » (LPTDik).

Effectivement [gul] est une forme authentiquement dialectale correspondant au français gueule. Et ce mot est bien attesté dans les parlers de l’Ouest, notamment, avec ce sens secondaire de « ouverture par où entre ou sort qch » (FEW 4, 315a, gŭla). Mais il appartient aussi au français populaire et familier de ces mêmes régions et même de Paris où on l’a noté aux 19e et 20e siècles (voir DRF 546-548). Bien loin de n’être qu’un décalque français des parlers dialectaux, c’est au contraire sa présence dans le français régional qui permet de comprendre son extension atypique dans les parlers dialectaux, puisque les résultats [u] au lieu de [œ] sont plutôt résiduels ou, en tout cas, n’occupent jamais une telle aire. En outre cette forme goule fonctionne comme une forme euphémique de gueule dont elle n’a jamais le caractère grossier, ce qui ne se comprend bien que si l’ancrage du mot est dans le français, langue de la politesse, alors que l’image du dialecte est celle de la grossièreté. Semblablement l’expatriation parallèle du mot aussi bien au Québec qu’en Acadie et à Saint-Pierre-et-Miquelon se comprendrait difficilement s’il s’agissait d’un dialectalisme. Il faut cependant noter que la forme la plus courante dans les créoles de l’Océan Indien est le type gueule.

goûté
♦ Réu. « le pain est beaucoup plus gouté » 1773 (RChLex 781) ;
○ réu. gute « savoureux, qui a un goût agréable » (RChLex 77, 781 ; ALR 323 ; AArDic), « qui a une certaine réputation, un savoir-faire certain » (DBaDCR) ; ○ mau. gute « (être) savoureux, succulent » (B/H) ; sey. id. « savoureux » (D/L).

Le FEW (4, 342a, gŭstus) n’enregistre ce type lexical qu’à Saint-Malo et en Nantais. Mais il ne faut pas croire qu’il s’agisse de notations véritablement dialectales. Toutes les autres attestations de ce type en Bretagne réfèrent au français régional : à Nantes en 1804 (DRF 551), en Basse-Bretagne en 1819 (ibid.), à Rennes (Coulabin 1891), à Dol-de-Bretagne, où Lecomte (1910) l’emploie comme définissant du dialectalisme goutu, et jusqu’à l’époque contemporaine en Morbihan et Loire-Atlantique (DRF 551), en Basse-Bretagne (Le Dû 2002). En outre l’aire d’usage du mot déborde sur le Maine-et-Loire et la Vendée, au sud, et la Normandie, au nord. Sa force d’expansion ne s’arrête pas là puisqu’il est passé dans le français de Saint-Pierre-et-Miquelon (BrassChauvSPM 1990).

grelet

○ réu. grele, gröle, grole, gerle, girle « grillon » (LHéFC 22 ; RChLex 279, 779 ; ALR 800 ; AArDic), « ’courtillière’, insecte appelé usuellement taupe-grillon » (DBaDCR) ; ○ rod. garlet « grillon » (ALRo3 : 317) ; ○ sey. grele « courtillière, Gryllotalpa africana » (D/L).

C’est effectivement un type lexical bien présent dans les parlers dialectaux du sud-ouest et du centre-sud du domaine d’oïl, de même que dans l’occitan du nord-ouest. Mais il l’est aussi dans le français régional du Poitou-Charentes, du Centre, de l’Allier, du Puy-de-Dôme et de la Creuse (DRF 561). Symptomatique est son passage dans l’onomastique. Le patronyme Grelet a son foyer d’expansion en Vendée, Deux-Sèvres et Indre (Fordant 1999) et la Vienne et les Deux-Sèvres comportent de nombreux lieux-dits Chantegrelet (Pignon 1960, p. 263). On peut noter que la commune ayant donné naissance au plus grand nombre de Grelet est Schoelcher, à la Martinique (Fordant 1999).

Mais c’est aussi valable pour des données aujourd’hui disparues des français provinciaux, mais qui ont appartenu à l’un ou l’autre d’entre eux.

garouage
○ réu. garwaz/-e « faire des commérages, bavarder (péj.) » (RChLex 771 ; DBaDCR).

Certes il n’existe pas de verbe garouager en domaine français, mais on peut très facilement le former à partir des locutions verbales aller/être en garouage « courir le guilledou, rechercher des aventures nocturnes » qui sont bien connues. Je les ai apprises par le patois de mon village, mais c’est tout simplement parce que les usages français l’avaient délaissé. Les premières attestations sont occidentales et datent du milieu du 16e siècle (voir Chambon 2000, p. 39) où elles apparaissent dans des pièces de théâtre comique, des farces. Mais les dictionnaires ont une entrée garouage de Cotgrave 1611 jusqu’à Littré. Le mot a dû toujours être ’familier et populaire’, comme le qualifient les Trévoux. Surtout, son aire d’expansion dans les parlers dialectaux à la fin du 19e siècle, à l’époque où il n’était plus vivant en français, est significative : c’est essentiellement l’Ouest, de la Normandie, à la Saintonge. Voilà probablement un mot du français de l’Ouest qui n’apparaît plus aujourd’hui que dans les patois de cette zone, mais qui, au 17e siècle, était encore assez vivant pour passer au Québec (GPFC), en Acadie (Poirier 1995) et dans le créole de la Réunion. Son déclin a renforcé l’atténuation sémantique qui l’affectait et a multiplié la variation sémantique. Son sens étymologique, rarement attesté, « courir la nuit, transformé en loup-garou » apparaît atténué dès le 16e siècle en « courir le guilledou », mais les parlers modernes, laissés à eux-mêmes, ont particularisé à l’extrême les sens : « errance », « vagabondage », « chapardage », « désordre », « tapage », « rut », etc. La modalité réunionnaise, sans doute « colporter des commérages de porte en porte », n’en est qu’un autre cas.

grègue
○ lou. (la)greg « cafetière à filtre » (AVaDLC) ; haï. grègues « culottes ; sac en toile de coton, en forme spéciale, servant à filtrer le café » (Faine), grèk « filtre à café (en tissu) » (ABeTD) ; gua. id. « cafetière classique avec bec verseur » (LMPTDic) ; mart. id. (RChLex 778).
○ réu. greg, grek (20) « filtre à café ; cafetière » (RNaLex ; RChLex 72, 93, 778 ; ALR 387N ; DBaDCR) ; ○ mau. lagrek « filtre à café » (B/H), lagreg « id. » (RChLex 778) ; ○ rod. id. (RChLex 778) ; ○ sey. id., lagrek "cafetière" (D/L),greg "filtre à café" (RChLex 778).

Tous les créoles français emploient cette dénomination, ce qui n’est guère favorable à une origine dialectale. Le FEW (4, 210b, graecus) ne la signale que par deux mentions : Nantais [grεg] « cafetière filtrante », Quimper [grεk]. Cette dernière attestation est significative, puisqu’elle ne relève pas d’un parler dialectal, mais du français d’une ville dont le vernaculaire est un dialecte celtique. Mais le FEW renvoie à un passage de Esnault (1925, p. 167-170) qui contient beaucoup de références supplémentaires et un historique du filtre à café. Selon celui-ci, en 1763 on a fait la publicité pour une cafetière nouvelle dont l’intérieur était ’rempli par un sac de flanelle fine’, ce qui permettait au café de rester ’très clair jusqu’à la dernière goutte’. Mais cette cafetière ne s’est répandue qu’à partir d’environ 1780. La première attestation du substantif provient de Landerneau, dans l’inventaire de la vente de M. de Kersauzon, le 30 juillet 1789 : ’deux bouteilles de Chopinne / un Grec pour Caffés’ (ibid. 167). Le mot est si nouveau qu’il est déformé, puisque ce genre masculin ne se rencontrera jamais plus. Au dix-neuvième siècle ce nom féminin sous la forme grèk est attesté dans le français du Finistère et du Morbihan, où, parallèlement, il est aussi utilisé en breton. Il est également connu, quoiqu’en décadence au début du 20e siècle, en Loire-Atlantique sous la forme grègue, de même qu’à Lorient. Mais la moitié nord de la Bretagne, le long de la côte de la Manche, ignore le mot, à l’exception de deux notations isolées dans les villes de Saint-Brieuc et de Saint-Malo. Tout ceci permet à Esnault cette conclusion : ’Il est plausible que notre grèk de basse-Bretagne soit la forme phonétique normalement prise en pays bretonnant par un grèg venu de la région nantaise entre 1763 et 1789’ (Esnault 1925, p. 169-70). Tout indique que le mot est apparu trop tard pour être connu dans les français du Canada et qu’il s’est diffusé dans les Caraïbes, les Mascareignes et en Louisiane (grégue « cafetière à filtre » Ditchy 1932 : 125) depuis le français des ports de la côte atlantique de la Bretagne, de Nantes à Brest.

hansart
○ réu. lãsor « bâton ferré dont on usait, entre autres emplois, comme ’alpenstock’ ; sorte de sagaie (muni d’une pointe de fer) » (RNaLex lançore ; RChLex 45, 199 ; ALR 632N ; DBaDCR) ; d.l.t. tyẽbõ/ tyẽbo lãsor « accroche-toi bien ! » (RChLex 199 ; ALR 151N, 607N) ; ○ mau. lãsar « scie à main » (B/H) ; ○ sey. id. « égoïne (scie) » (D/L) ;
►mau. lãsar a do « petite scie à main rectangulaire » (B/H) ; ○ sey. lãsar ledo « égoïne à dos » (D/L).

Le FEW (16, 140a, handsax) est, pour ce mot, ou bien fautif ou bien elliptique. Il nous dit que le mot est en ancien français ’besonders pikardisch’. Si l’on examine les données d’ancien français, on ne voit pas comment on a pu tirer cette conclusion. Comme le dit le Dictionnaire étymologique de l’ancien français (DEAF) s.v. hansac, cette dénomination d’une « arme blanche à lame courte et assez large, pointue du bout, poignard » est un emprunt à l’ancien anglais et ’c’est à travers l’anglo-normand que le mot est entré dans le domaine d’oïl’. Ce qui indique que le mot a dû se diffuser depuis l’Angleterre sur le continent au sein de l’empire des Plantagenêt, dans l’ouest de la France, et particulièrement en Normandie. Les données médiévales ne sont pas concluantes sur ce point : Picardie (Fergus), sud-ouest (Partonopeus de Blois), Champagne (Calendre), Centre-est (Guillaume d’Angleterre). Mais, postérieurement, les quelques attestations relevées dans la littérature sont sans ambiguïté : c’est exclusivement la Normandie (Guillaume Haudent, né à Rouen ; Robert Angot, 1581-mil. 17e s., né à Montchauvet, avocat à Caen, Calvados). Surtout, le texte du Dictionnaire de Commerce de Savary des Brûlons, qui a connu plusieurs éditions dans la première moitié du 18e siècle, est très explicite : ’hansars. Les Normands nomment ainsi des serpes toutes de fer, mais qu’on peut néanmoins emmancher de bois, selon qu’on le trouve plus commode. Ces hansars sont du nombre des ferremens ou outils de fer, qui font partie de la traite que les François de Cayenne font avec les Galibis et les autres Indiens de la Guyane.’ (Savary 1741, vol. 2, col. 1576). C’est véritablement un mot régional, qui est répandu dans l’Outremer. Mais ce qui est aussi notable, c’est que les dictionnaires du français, à la suite de Savary des Brûlons, vont enregistrer le mot, comme régionalisme de Normandie dénommant une espèce de serpe, de Trévoux 1743 jusqu’à Larousse 1873. Mieux, de Larousse 1902 à Larousse 1962, le mot a été redéfini : ’hansart, s.m. Dans l’Ouest, couperet ou hachette de boucher’. Comparé aux définitions dialectales, on voit qu’il y a eu une recherche efficace, puisque ce sens de « couperet de boucher » est bien attesté dans les parlers dialectaux de Normandie. Donc, les mentions des glossaires dialectaux, de la Picardie à l’Anjou, témoignent bien de l’aire géographique de l’implantation du mot, mais pas de son statut. S’il a connu une certaine dérégionalisation au Moyen Age, par la voie littéraire, le mot a été emprunté à l’Angleterre par la Normandie où il est resté régional jusqu’à l’époque contemporaine, où il ne se maintient que dans des emplois techniques (boucherie, travail du bois) qui ne sont pas spécialement dialectaux et d’où il ne s’est diffusé que dans les provinces voisines au nord et au sud-ouest.

jambette
○ lou. žãbet « croc-en-jambe »(AVaDLC) ;
○ réu. zãbek « croc-en-jambe » […] ; ○ mau. †zambèque « id. » 1880 (B/H) ; ○ sey. zãbek « id. » (D/L).

Evidemment ce type lexical est bien représenté dans les parlers dialectaux et avec ce même sens. Mais il faut surtout tenir compte que la locution donner la jambette « faire un croc-en-jambe » est attestée en français en 1555, chez Louise Labé (Frantext) et qu’elle a été enregistrée par les dictionnaires du français de Cotgrave 1611 jusqu’au Larousse 1948. Comme on n’en signale plus d’exemple littéraire après Louise Labé, les attestations dialectales ont pour vertu de confirmer les dictionnaires, c’est-à-dire d’assurer qu’il ne s’agit pas que d’un mot de dictionnaire (FEW 2, 118a, camba). De la même manière, sa présence dans les français d’Amérique du nord (v. TLF) prouve sa vitalité à l’époque classique, sans doute comme forme régionale populaire de l’Ouest. Mais il n’y a aucune nécessité de faire jouer aux dialectes quelque rôle que ce soit dans l’expatriation de ce mot français.

4) Des paquets de régionalismes/dialectalismes

Il se peut cependant qu’on ne voie pas comment tel ou tel mot expatrié, et dont l’origine est diatopiquement assurée, ait pu avoir un statut régional en France. Grâce à des circonstances exceptionnelles des dialectalismes ont pu s’implanter outremer. La condition qui paraît la plus favorable, c’est la présence du dialectalisme, dès les débuts de la colonie, dans la langue d’un groupe cohérent de locuteurs prépondérant en nombre ou en qualités. Ce groupe de locuteurs doit pouvoir être cerné lexicalement, car il est vraisemblable que l’influence linguistique du groupe a dû laisser plus qu’une seule trace lexicale. Elle doit pouvoir se repérer par de petits ensembles lexicaux, de régionalismes comme de dialectalismes, ayant une origine localisable similaire. Par une légitime et bien compréhensible prudence, Robert Chaudenson avait pris la décision de ’ne pas chercher à établir de différenciation entre les apports des divers dialectes’ au créole réunionnais (RChLex 1103). Mais l’impossibilité de parvenir à des résultats concluants sur l’ensemble du lexique d’un créole ne condamne pas définitivement ce genre de recherche. On a pu déterminer pour certains français expatriés des ensembles lexicaux ayant une même origine géographique, qui donc ont été portés par des groupes d’immigrants. On doit tenter de déterminer des apports précis sur certaines portions des lexiques créoles. J’essaierai de repérer, dans la tranche lexicale que j’examine, quelques données dont l’aire d’origine est semblable.

On a déjà vu quelques exemples de mots créoles qu’on peut rattacher à quelques régionalismes du français de Bretagne : galettoire, goûté, grègue. Je vais examiner ici quelques cas dont l’origine est nettement plus restreinte encore à l’intérieur de la Bretagne et qui mêlent régionalismes et dialectalismes.

gon

○ réu. « charançon » (RChLex 279, 775 ; DBaDCR) ; mau. id. « esp. de hannetons minuscules qu’on trouve dans le riz, en particulier » (B/H) ; ○ sey. id. « larve de charançon se trouvant dans la farine » (D/L).
Voici les attestations françaises correspondantes de ce type lexical qui ont été publiées, en une version augmentée de l’article du FEW (20, 8a, kosann) [2] :

Fr. mod. gon m. « un des noms vulgaires des charançons et de la calandre » (Bescherelle 1845 ; Larousse 1872), Côtes-d’Armor « varron » Deguillaume, Ille-et-Vilaine [gõ] « charançon » ALF 1492 p 462, Dol, Rennes gon, Mée gond, Sérent [gɔˈõ], Chateaubriant gons.

Comme on le voit par ces quelques données lexicographiques, le mot est bien connu comme dénomination de parasites dans les quatre départements de Haute-Bretagne, tandis que les parlers des autres provinces bordant la Manche et l’Atlantique l’ignorent (ALF 1492, ALN 663, ALO 452-3, ALG 57). Le mot des créoles de l’Océan Indien provient certainement de Haute-Bretagne. Si les dictionnaires français l’ont momentanément enregistré, ce peut être sous l’influence de quelque naturaliste qui l’aura cité, mais qui reste à identifier.

grès

○ sey. gre « pierre à affûter des outils » (D/L).

Voilà une donnée curieuse, si on la compare aux données de France. La carte 1121 correspondante de l’ALF ne cite que deux exemples de ce type lexical, au sud-est de la Bretagne. Voici le passage concerné dans l’article où Gamillscheg a analysé cette carte : ’Einzelne westfr. Mundarten haben als Grundwort statt pierre « Stein » die Entsprechung des frz. grès « Sandstein », daher grès à dar 476 [lire : 466] (neben grès à affiler in 485). Für Pléchâtel bezeugt Dottin l.c. dieses [gre] als « grande pierre plate à aiguiser »’(Gamillscheg 1922, p. 91). Les enquêtes récentes ont permis de retrouver le mot à près de 20 reprises sur une aire un peu plus vaste, depuis le sud des Côtes-d’Armor jusqu’à l’estuaire de la Loire. Il n’empêche que seule une petite zone géographique au sud-ouest de la Bretagne romane connaît ce mot. La correspondance est cependant totale, forme et sens, puisque c’est le même type d’objet qui est dénommé et que les formes dialectales sont les équivalents de la forme créole. Etymologiquement la voyelle du mot est un [ε :] qui se réalise le plus souvent comme [e], avec parfois diphtongaison due à la longueur [ˈei], [ˈεi]. Mais quelques points donnent aussi, concurremment, une forme [grε] qui paraît représenter une forme française, indice que ce type lexical n’est pas seulement un pur dialectalisme. En effet, c’est un produit manufacturé distribué par le commerce. Et c’est comme dénomination d’un tel produit, sans doute à partir de Nantes, que le mot a pu se répandre dans l’Océan Indien.

gergaud
○ réu. zargo : ẽ vye zargo « un vieux garçon » (ALR 133/25), lü le ã zargo « il a l’esprit dérangé » (ALR 161/25).

Etant donné les réalisations régulières du réunionnais, ce type doit se relier à un point de départ [ʒɛrˈgo]. Le problème, c’est que le FEW a occulté une partie des données et démembré le reste. En réalité, si l’on prend en compte l’ensemble des matériaux susceptibles d’être rapprochés des données créoles, on voit qu’on a le choix entre deux possibilités de rattachement, et non pas une seule. L’identification récente de ces deux possibilités change la donne par rapport à l’hypothèse que j’avais proposée et qui a été publiée dans le DECOI.

La première possibilité, c’est une famille lexicale du français expatrié, bien attestée au Québec : gergaud m. « personne étourdie, écervelée, sans jugement » (GPFC), gergaud (n. m./ adj.) « sans jugement » (Dulong 1989), gergaude n. f. « fille qui aime à folâtrer avec les petits garçons de son âge, une garçonnière » (Dionne 1909), « fille délurée qui s’amuse avec les garçons, garçonnière ; personne écervelée » (GPFC), gergaude (n. f./ adj.) « délurée » (Dulong 1989) ; gergauder v. intr. « faire la gergaude » (Dionne 1909) ; gergauderie n. f. « action de gergauder » (Dionne 1909). Cette famille se rattache très visiblement à une famille lexicale normande que ne signale pas le FEW ou du moins que je n’ai pas su retrouver dans le FEW : gergaud n. m. « fille qui folâtre avec les garçons » (DT) ; gergauder v. intr. « folâtrer en gergaud » (DT). Et celle-ci paraît liée à normand gergoter v. intr. « folâtrer, se trémousser, s’agiter » (Moisy 1887), Guernesey djergotaïr (FEW 21, 363b). Les données québécoises et normandes ont ceci de commun que cette dénomination péjorative concerne surtout les jeunes filles et que le comportement stigmatisé est une agitation vaine ou inconvenante. Le lien sémantique est plutôt lâche avec le mot réunionnais qui concerne les garçons et se réfère à une déficience mentale. On pourrait certes imaginer une liaison entre le mot réunionnais et la famille normanno-québécoise.

Mais le type créole paraît plus proche d’un type dialectal de Haute-Bretagne dispersé dans le FEW : Loutchel [lire : Loutehel, commune du sud-ouest de l’Ille-et-Vilaine] gergaud « homme sans valeur » (FEW 4, 60b, garg-) et Nantais, Blain gergaud « jars » (FEW 16, 17b, *gard). Le sens propre a été confirmé depuis en Loire-Atlantique par : Guérande jargau m. « jars ». Quant au sens figuré, facile à comprendre par la bêtise traditionnellement attribuée aux oies, il a été abondamment illustré, dans le sud de la Haute-Bretagne, à Saint-Martin-sur-Oust (Morbihan) : jergaoud [ʒɛrˈgau] (n. m./adj.) « (qqn) qui n’est pas sérieux, qui aime bien s’amuser, qui fait rire les autres ; (qqn) qui n’a pas toutes ses facultés, mal équilibré, un peu fou, simplet » (Guillaume 1972, p. 299-300). Ce dernier mot a en quelque sorte le double sens du français plaisantin ou rigolo « personne qui amuse les autres » et aussi « personne qu’on ne peut pas prendre au sérieux, à qui on ne peut pas faire confiance ». On a donc une aire géographique à cheval sur l’Ille-et-Vilaine, le Morbihan et la Loire-Atlantique où un type lexical gergaud est connu comme nom dialectal du mâle de l’oie et, appliqué à des humains, comme terme péjoratif. Au sens figuré il faut noter la similitude entre réu. être en zargo « avoir l’esprit dérangé » et haut-breton avoir du jergaoud « ne pas être très malin, ne pas être très fin » noté à Saint-Martin-sur-Oust (Guillaume 1972, p. 300).

Ce qui manque, pour que la comparaison soit complète, c’est le sens de « vieux garçon ». On peut remarquer que l’application du nom du jars aux hommes n’est pas inconnue du français. Le TLF en donne un exemple pour jars, tiré du Testament du Père Leleu, de Martin du Gard, pièce de théâtre dont les personnages sont des Berrichons et non des Normands comme le prétend le dictionnaire : C’est la feue maîtresse qui m’avait enseigné à le faire venir (...). Et qu’il se faisait point faute d’accourir, le vieux jars ! (Martin du Gard, Testament du Père Leleu, 1920, p. 1145). Le substantif y est qualifié par vieux : le vieux jars, autrement dit le vieil obsédé sexuel et la comparaison avec le jars concerne le comportement sexuel. Et elle est également connue des parlers dialectaux. Voici une définition euphémique d’un verbe dérivé : poitevin jarauder v.n. « (d’une jeune fille) s’amuser sans retenue avec les jeunes garçons » (FEW 16, 17b).

Cette qualification s’adosse sur une croyance populaire qui a produit quelques dictons. L’un a été noté dans les Deux-Sèvres : vieux jars et jeune coq (Rolland 1883, p. 161), qui signifie que pour avoir une basse-cour productive grâce à des mâles vigoureux, il faut un jeune coq, mais un vieux jars. J’ai entendu à de nombreuses reprises, notamment en Bretagne, l’autre dicton, que je cite en français : vieux jars, jeune oie, beaucoup d’oisons. On ne l’emploie qu’à titre métaphorique, à propos d’humains, pour dire que le mariage d’un vieux garçon avec une très jeune femme donne une famille nombreuse. Et là, de façon claire, le vieux jars est le symbole du vieux garçon.

Au total le mot réunionnais s’accorde très bien avec les données du sud de la Haute-Bretagne : gergaud n. m. « jars ; vieux garçon ; individu au comportement peu sérieux », dans lesquelles, on peut le noter, sens propre et sens figurés du mot se relient de manière transparente pour des locuteurs du monde rural et dialectal.

On peut constater que, parmi les provinces d’origine des premiers colons, la Bretagne a fourni le contingent le plus nombreux : 19 sur 88 chefs de famille d’origine française connue, suivis de 12 Normands et 12 Aunisiens, Saintongeais et Poitevins (RChLex 462). Si l’on ajoute les exemples de régionalismes de Bretagne, tels que galettoire, goûté et grègue, on voit que, dans le petit secteur examiné du lexique des créoles de l’Océan Indien, quelques unités lexicales manifestent un même ancrage bien marqué en Bretagne, particulièrement dans la région nantaise, et que cet ancrage est susceptible de favoriser l’implantation aussi bien de régionalismes parfaitement reconnus que des termes de la langue populaire, qui est ici le dialecte, tels que gergaud. La cohérence entre l’origine d’un groupe prépondérant de colons et la zone géographique où se localise un ensemble de diatopismes lexicaux confirme que les étymologisations qui ont été faites ne sont pas irréalistes et elle donne un profil linguistique approximatif à un groupe de colons dont le rôle linguistique s’en trouve avéré. Menée sur une toute petite échelle, l’expérience demanderaitàêtre poursuivie pour mieux cerner l’influence du groupe ici identifié et pour éventuellement identifier d’autres groupes. Hors de telles configurations, la vraisemblance que des dialectalismes aient pu s’implanter outremer reste faible.

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[1] Pour les créoles, les abréviations géolinguistiques et bibliographiques sont celles du DECOI

[2] Une petite parenthèse : l’étymon breton kosann « kornwurm » (FEW 20, 8a) est un fantôme, de même que bret. kozan « schabe » (cité FEW 2, 1245a, cŏssus, comme emprunté de fr. *cos « charançon »). Ce qui existe c’est vann. kosen f. (pl. kos) « cosson ; ver intestinal des enfants » ou bret. kos m. (pl. kosed) « calandre, cosson, insecte qui s’engendre dans les blés » (Troude). En fait le mot breton est kos (moyen breton cocc depuis 1499, Lagadeuc) auquel s’adjoint soit un morphème de singulatif –enn, soit de pluriel –ed. C’est un emprunt au français. Evidemment le mot de Haute-Bretagne n’a aucune chance de remonter à un pareil étymon et n’a donc, pour l’instant, pas d’étymon.

Chauveau, Jean-Paul (jean-paul.chauveau@atilf.fr)