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De l’intérêt du Dictionnaire du créole de Marie-Galante de Maurice Barbotin

jeudi 23 septembre 2004, par Marie-Christine Hazael-Massieux

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La parution de ce dictionnaire chez Helmut Buske [1]qui remonte déjà à 1995 serait à peu près passée inaperçue, comme la sortie de bien des œuvres scientifiques, si elle n’avait suscité un certain nombre de réactions dans les cercles les mieux informés. Quelques années plus tôt, un Dictionnaire pratique du créole de Guadeloupe avait été publié par Henry Tourneux et Maurice Barbotin (Karthala – ACCT, 1990), assez différent, bien que fondé aussi sur les fiches lexicales accumulées par le Père Maurice Barbotin au fil d’années de vie à Marie-Galante. Toutefois, dans le Tourneux et Barbotin, toutes les fiches n’avaient pas été reprises : notamment ne figurent pas les entrées les moins usitées, les plus archaïques ou les plus techniques (en relation avec la pêche, l’agriculture…), qui effectivement sont de peu d’intérêt pour le locuteur résidant en ville, mais bien sûr passionnantes pour l’historien des sociétés et le linguiste qui cherchent à approfondir la question des origines du créole ; en outre, le détail des définitions a souvent été l’objet de coupes dans le Tourneux et Barbotin, notamment en ce qui concerne des emplois très spécifiques à Marie-Galante ; ont également été supprimés tous les mots qui semblaient trop proches du français, même si leur signification particulière en fait véritablement des mots créoles. On peut dire que, globalement, l’intervention d’Henri Tourneux dont la visée était d’atteindre un public plus large, avait entraîné des choix particuliers dans la nomenclature – et parfois même l’ajout d’entrées ou d’acceptions absentes des fiches de M. Barbotin mais insérées dans la publication de Karthala pour rendre compte plus directement du vocabulaire commun de la Guadeloupe. Cela donnait donc, dans une perspective tout autre que celle de la collecte méthodique de M. Barbotin à Marie-Galante, un « dictionnaire du créole de Guadeloupe » - dictionnaire « pratique » comme il est dit dans le titre, sans doute plus conforme aux vœux du « grand public », mais beaucoup moins significatif pour le linguiste à la fois en ce qui concerne la référence à un parler particulier qui a sa cohérence, mais également par rapport à des recherches sur la diachronie créole dans la Caraïbe.

A travers le Barbotin, 1995, auquel nous allons nous intéresser ici, édité à l’heureuse initiative d’Annegret Bollée, qui, restituant l’ensemble des fiches de Maurice Barbotin, permet d’approcher clairement un parler déterminé parmi les variétés antillaises, nous pouvons apprécier, par exemple, la part non négligeable de mots d’origines non françaises ; il s’agit effectivement d’un parler que l’on peut qualifier de « conservateur », en raison notamment de l’isolement de l’île, et ces mots sont visiblement présents dans l’usage depuis l’époque de l’esclavage, puisque depuis cette époque aucun contact avec l’Afrique ne peut suggérer l’emprunt tardif à des langues africaines. Pour le français, en revanche, les contacts continués ont constamment amené les locuteurs à emprunter de nouveaux mots – et ceci même s’ils les utilisent avec une acception un peu différente du sens français courant. Ce qui primitivement n’avait comme ambition que de présenter le lexique de Marie-Galante se révèle ainsi pour nous, linguistes, d’un intérêt énorme tout particulièrement en raison de la situation de l’île [2]. Si le parler créole de Marie-Galante est proche du guadeloupéen commun, il comporte des spécificités liées d’une part à l’environnement géographique et social, mais également – nous le verrons – à ce « conservatisme », résultat de l’isolement de cette île [3] jusqu’à une date toute récente [4]. Nous avons, grâce aux nombreuses fiches du Père Maurice Barbotin, accès à un état de langue ancien, dont les plus jeunes générations n’ont plus la moindre idée. Ces raisons font que cet ouvrage est un témoignage du plus haut intérêt, dont la fiabilité n’est pas contestable, non seulement en raison de la durée du séjour effectué dans cette île par Maurice Barbotin (à partir de 1951), mais aussi à cause de son souci d’exactitude et de sa minutie dans la rédaction de ces fiches tenues au long des jours. Un tel travail de fourmi a été possible en raison des contacts nombreux que Maurice Barbotin avait, comme prêtre catholique, avec la population et de sa connaissance devenue intime des réalités locales.

Ainsi, le bien-fondé de la publication des fiches originales du Père Barbotin dans la « Kreolische Bibliothek », n’est plus à démontrer, et cet ouvrage se révèle une source précieuse pour le chercheur travaillant notamment sur les textes anciens en raison de l’extraordinaire documentation réunie par le Père Barbotin. Nous avons pu, depuis plusieurs mois déjà, identifier des formes dans des textes anciens qui autrement seraient demeurées incompréhensibles ou donnaient à l’occasion lieu à des interprétations très fantaisistes, publiées ou non, de la part de collègues qui prétendaient comprendre mais de fait interprétaient ces termes en fonction de connaissances insuffisantes, alors qu’ils reçoivent une explication satisfaisante dès qu’on se donne la peine d’ouvrir le Barbotin.

J’en donnerai quelques exemples dans cette courte note.

L’opéra en vaudevilles, « Jeannot et Thérèse » [5], joué à Saint-Domingue au XVIIIe siècle, tant au Cap qu’à Port-au-Prince a connu un tel succès que l’auteur (un dénommé Clément) s’est même fait dérober la première version de sa pièce, maintenant introuvable. Mais le manuscrit de 1783 a pu être retrouvé par Bernard Camier, et nous avons publié le texte original en Haïti [6] , pensant qu’il convenait de « rendre à César ce qui est à César », c’est-à-dire de publier dans une revue haïtienne une pièce écrite à Saint-Domingue avant la révolution haïtienne et jouée de nombreuses fois par des acteurs du pays. Dans ce texte en particulier nous avons pu expliquer le terme de « bichi », inconnu dans la plupart des autres sources lexicales [7], grâce au Dictionnaire de M. Barbotin, seul dictionnaire de la zone où nous avons trouvé une entrée pour ce mot [8] et qui éclaire pour nous l’usage du XVIIIe siècle :
Bichi-bichi Palé bichi-bichi : parler en aparté.

Effectivement, le sorcier Papa Simon dans la pièce de Clément répond à Thérèse qui lui demande de faire un petit « wanga » (sorcellerie) susceptible de lui ramener Jeannot au cœur infidèle :

« Bichi ! / mequié la pas bon ma chere / millors vous changé zami » Ce que l’on peut traduire vraisemblablement par « Entre nous, l’affaire (ou le métier) n’est pas bon ma chère ; il vaudrait mieux pour vous changer d’ami ».
(Papa Simon vient d’ailleurs de dire à Thérèse qu’il ne la ferait pas payer, qu’il ferait cela par amitié, et Thérèse s’est étonné d’un « métier » qui ne devait pas beaucoup rapporter !)

Dans un autre texte ancien, l’aide du dictionnaire de Barbotin s’est révélée encore précieuse pour l’interprétation de quelques termes chez Moreau de Saint-Méry (textes de l’extrême fin du XVIIIe siècle : 1796 et au-delà).

Golèt : Ce mot est attesté dans la « Réponse de Lisette » [9] proposée par Moreau de Saint-Méry, alors qu’il cite par ailleurs ce poème créole attribué à Duvivier de La Mahautière : Dans la « Réponse de Lisette » il s’agit pour Lisette, abandonnée de son amant, de dénigrer sa rivale. Elle dit ainsi : « Taille à li semblé gaulette ». Je connaissais personnellement les gaulettes, ces instruments, parfois un peu rudimentaires, qui permettent dans les campagnes de décrocher des fruits élevés (pommes, poires…) que l’on ne pourrait atteindre sans monter dans l’arbre. Il semble bien que ce soit là une allusion à cet instrument (autrement dit à « une grande perche » !) qui est faite ainsi dans le poème. Voilà ce que dit Barbotin à golèt [10] : « 1. Grande gaule fine terminée par une petite fourche, utilisée pour cueillir les fruits. ». Il propose aussi « 2. Gaule courte un peu plus grosse que le doigt pour faire les cases en pisé autant que possible en bois-chandelle. » le poète préfère-t-il comparer la rivale à un « poteau » ! Le troisième sens nous concerne moins ici (« 3. Matériau pour faire l’armature des nasses. »). Le premier sens nous semble plus en accord avec le contexte et le type de description de cette femme maigre et osseuse, dirions-nous en français contemporain, c’est-à-dire précisément ce que l’on dit quand on dit d’une femme qu’elle est « une grande perche » ! Mais ces informations (les trois définitions) sont toutes très intéressantes en ce qui concerne le vocabulaire créole dont on souligne généralement à plaisir la « pauvreté » !

Blan cochon. Cette expression également attestée dans la Réponse de Lisette , peut sembler bien énigmatique : « Tété li c’est blan cochon » (C’est ainsi que Lisette continue à détailler les traits physiques peu avantageux de sa rivale ! « Bonda li c’est paquet zos, Li pas teni dents dans bouche »… (son derrière est un paquet d’os, elle n’a pas de dents dans la bouche…). « Tété li c’est blan cochon » arrive juste après.

Cannes à sucre
image 128 x 198 C’est Barbotin qui m’a donné la clef de ce qui restait obscur pour moi malgré ma compétence en créole des Petites Antilles, et qui m’a ainsi permis de renseigner ma collègue Deborah Jenson, bien en peine pour proposer une traduction. Voilà ce que dit Barbotin, à la 3e entrée de blan : « Tête de canne à sucre ; si on veut la donner à manger aux cochons on laisse un ou deux nœuds en plus, si on veut l’utiliser comme plant de canne à sucre on ne lui laisse aucun nœud à la base. Tout kochon ka émé blan a kann : Tous les cochons aiment bien le blanc de canne à sucre. » Cela veut dire que les seins de l’amie de celui dont Lisette pleure l’absence sont comparés à ces déchets laissés après récupération et utilisation de la canne pour la confection du sucre.

Nous ne pouvons préciser exactement ce que Barbotin appelle « la tête de la canne », mais il est précisé un peu partout que « la flèche » de la canne pouvait servir de plant pour une nouvelle récolte : cela semble donc correspondre assez bien à l’information donnée par Barbotin.

Un autre terme, retiendra un instant notre attention. Il s’agit de Bwa cot’lette (dans le même poème : « Li maigre com’ bois cot’lette »). Le terme de bwa incitait indéniablement à chercher du côté des arbres (cf. pyébwa = arbre, bwa goyav = goyavier, etc.). Barbotin signale :
Bwa kotlèt – Bois côtelette, espèce d’arbre (trois ou quatre espèces différentes).

La mention « espèce d’arbre » étant trop vague, nous avons entrepris de chercher des informations, en particulier dans l’ouvrage de Jacques Fournet, Flore illustrée des phanérogames de Guadeloupe et de Martinique, INRA, 1978, qui n’en est pas avare. Sous le terme de Bois-côtelette qui renvoie en fait à côtelette, on voit désigner effectivement différents végétaux :

image 246 x 329 Bois-côtelette

Côtelette (nombreux composés) : Melastomaceae
Côtelette blanc : Miconia
Côtelette blanc : Tetrazygia
Côtelette-grande-feuilles : Graffenriedia
Côtelette-montagne : Miconia
Côtelette-petite-feuille : Tetrazygia
Côtelette rouge : Miconia
Côtelette rouge : Charianthus

Ce qui fait quatre variétés si l’on part du nom latin : Miconia, Charianthus, Graffenriedia, Tetrazygia – Melastomaceae étant le terme générique. On admire au passage la précision de Barbotin qui évoquait « trois ou quatre espèces différentes ». Il s’agit d’ « arbres, arbustes, arbrisseaux ou herbes, terrestres ou rarement épiphytes […] simples, dentées ou entières, parfois ponctuées-glanduleuses… ». En parcourant Fournet, on découvre effectivement des variétés assez différentes. Nous reproduisons ci-dessous une tige de la miconia mirabilis, qui porte le nom vernaculaire explicite de « bois-côtelette » :

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Au-delà de la référence a un arbuste sans doute un peu grêle et décharné, les détails botaniques importent peu dans le cas présent ; il suffit de rappeler comme point commun aux diverses variétés qu’il s’agit d’arbustes ou de petits arbres de montagne, peut-être un peu rachitiques ; cela semble bien suffisant pour décrire le corps peu avantageux de la rivale de Lisette !

Au-delà de ces quelques exemples précis, on a avec ce dictionnaire une mine d’informations pour des vocabulaires spécialisés ou non : alors même que dans les Petites Antilles on déplore souvent l’insuffisance du lexique, l’absence de termes techniques transposables et que l’on propose de ce fait de fabriquer des néologismes, les ressources telles qu’elles sont présentées chez Barbotin, attestent d’une richesse importante, dont les lexicographes modernes devraient tenir compte. On citera ici quelques entrées qui nous semblent particulièrement intéressantes (exemples pris dans l’ordre alphabétique mais sans prétention à l’exhaustivité [11]) :

Adò – (n. u.) [12] Espèce de racine comestible (Dioscorea), connue mais non cultivée à Marie-Galante.

Adyé gounyak : [explication à gounyak] Tu ne le reverras jamais ; il est parti et ne reviendra pas (par exemple se dit quand un poisson se décroche de la ligne ; il est perdu et impossible à retrouver.

Aki – Batterie d’accumulateurs. Jozèf achté on aki nèf : Joseph a acheté une batterie d’accumulateurs neuve. M.n. [13].

Akoma : acomat, arbre rare au très beau bois (il y en a 14 espèces différentes). Akoma tonbé, yo ka di sé bwa pouri  : On traite de bois pourri l’acomat tombé (prov.).

Albirin / lalbirin – Albumine ; n’est pas toujours précédé de l’article l (ex. : I pa tini albirin : il n’a pas d’albumine) ; Yo touvé albirin adan pisa a i : On a trouvé de l’albumine dans ses urines.

Alpanti – Pièce de bois qui reçoit dans une cavité le pied du mât d’un canot.

Amiyonné [14]- Cajoler ; prendre par la douceur ou par le côté faible.

Anféyi – Feuillure dans le cadre qui reçoit une porte ou une fenêtre. Anfèyi la pa dwèt  : La feuillure n’est pas droite.

Ankofré – Mettre dans le cercueil. Koté dé zè nou ké ankofré Pol : Vers deux heures nous allons mettre Paul dans le cercueil.

Anròbé – Produit bitumeux pour le dernier revêtement lors du goudronnage des routes. Yo mété anròbè la, chimen la bèl : Ils ont mis la dernière couche de goudronnage, le chemin est beau.

Atou 2 : Attrape-moi ! cri juste avant de plonger pour attraper les autres sous l’eau. [15]

Badach – Grosse bille pour jeux d’enfants, synonyme de boulè. Ba mwen badach an mwen : Donne-moi ma grosse bille.

Bakso – Petite nasse généralement de 12 mailles ; ce terme s’emploie plus volontiers pour la nas péché ou nas tonbé lévé. On la met à l’eau avec de l’appât et on la relève moins d’une heure après.

Bakwa (n.u.) – 1. Balai fait avec des feuilles de palmier Pandanus utilis. 2. Chapeau martiiquais fait avec cette paille.

Balaou – Espèce de poisson. Mè balaou : espadon. Tot balaou : le premier banc à l’avant d’un canot. Plonjé balaou : se dit quand on sommeille, assis, que la tête tombe en avant et on la redresse sans arrêt. Terme générique désignant les poissons. [16]

Si Bamou est également indiqué dans Ludwig et al., il faut retenir de Barbotin l’indication spécifique suivante - forte intéressante : « Bamou débarké : se disait pendant la guerre 1939-1945 quand une goélette apportait des bœufs de boucherie vivants. A l’arrivée, les chauffeurs faisaient le V (les cornes) avec l’index et le majeur pour le signaler à ceux qu’ils croisaient sur la route. Plus tard, lors du mouvement indépendantiste ce signe annonçait, par dérision, le débarquement de gendarmes mobiles. »

Banbot – Grand canot qui assurait le chargement et déchargement des passagers et des marchandises en baie de St Louis. Misyé Pyè achté on banbot : Monsieur Pierre a acheté un grand canot pour faire la navette entre les bateaux et la terre. Maintenant il n’y en a plus.

[avec banbotyé – marin de banbot…]

Bandisité – Activité dévergondée et empreinte de malhonnêteté ; ne désigne pas des actions très graves. Ti moun la ka fè on jé bandisité  : Cet enfant fait bien des choses répréhensibles. [je puis attesté avoir entendu cette forme sur le « continent guadeloupéen » effectivement, en particulier pour parler des bêtises d’un enfant]

Bari di ven – Argonaute (mollusque), méduse violette, elle gonfle d’air une poche qui lui sert de voile pour naviguer au gré des vents.

Basteng – 1. Lamelle de bambou étroite et épaisse qui renforce la vannerie qui fait le pourtour d’une nas péché. 2. Deux mirettes superposées renforçant le bord d’une vannerie. 3. Renforcement, avec des lamelles de face externe du bambou, d’une bande sur deux de l’entour de la nasse bakso.

[avec Bastengé = mettre une basteng…]

Nous passerons sur bèlafont, sur les détails donnés autour du ben démaré ou du béni kò, bèrè, bèt à man Ibè, biskankwen, bokit, bouko, boustabak, tous les sens de boutou ou de branka, les divers arbres présentés (composés sur bwa-), mais aussi bwaré, bwazèt, et sur quantité d’autres. Le nombre d’entrées particulières et comportant des informations essentielles pour la compréhension de textes un peu anciens en créole, mais aussi probablement pour le développement du créole (dont, nous le disions plus haut, on dénonce, par ignorance des usages réels, la pauvreté !), se montre à l’usage considérable. Nous ne pouvons espérer ici dans cette courte note qu’inciter à la consultation régulière du dictionnaire de Barbotin.

Nous citerons encore rapidement, en avançant dans l’ordre alphabétique, sans citer tous les commentaires de Barbotin, mais en livrant la traduction la plus immédiate pour inviter le lecteur à aller plus loin) :
Flaj = Eclat de bois, écharde
Fòl = Grand filet à très grandes mailles pour prendre les tortues et les raies ; quand il est mis à l’eau le bas du filet n’est pas attaché ; seules les extrémités supérieures sont retenues par ancrages.
Fouryé (Désirade) = Ce que l’on appelle poten en Guadeloupe ; partie métallique à grille pour le feu de charbon de bois. [ni fouryé, ni poten ne figurent dans le Ludwig et al.]
Galè 1. = galère, outil de menuisier ; 2 = argonaute, mollusque céphalopode (octopodes). Nom donné par les marins aux physalies.
Grabyo = 2. cheville de bois sous le banc que traverse le mât du canot (ce sens est inconnu chez Ludwig et al.)
Diverses variétés de grènn : grènn koray, grènn légliz, grènn roch
Groskay = variété d’igname.
Kach sens 2. = plomb pour ligne
Kaplé et dékaplé hisser et baisser la voile.
Kartlaj = chevron.
Kaskay = farine de manioc avec du sirop de batterie.
Kaybot = croûte de bobo
Klòché = 1. marche et gloussement de la poule qui couve.
Koko lanmè = fruit du gouglou (Acrocomia karukerana=, un palmier épineux, qui ressemble à une noix de coco défi brée, grosse comme une balle de golf.
Kokoyoko = jeu d’enfant.
Koloman = crabe chouvalièt.
Kol roch = petit poisson qui s’attache aux pierres.
Kouchtou = banquette, placée dans la salle de la maison. Elle sert de siège pendant la journée et de lit pendant la nuit.
Lavé pyé = endroit, à l’entrée d’un bourg, où les gens s’arrêtaient pour se laver les pieds avant d’entrer au bourg, éventuellement avant de remettre les souliers (enlevés pour la marche pour les protéger de l’usure).
Lèstrop = bout de cordage épissé formant une boucle…
Lin a lanbi = tube digestif du lambi (aux multiples fonctions médicinales dont certaines sont précisées…)
Lyéd mè / lyé d pè = celle ou celui qui remplace la mère ou le père (absente/absent ou défunte/défunt) pour conduire le jeune homme ou la jeune fille dans le cortège de noce. Magi = rachitique
Malman= pas bien difficilement.
Manba=fruitcueillitrop vert, à peine comestible
Mayombé = une habitation de Marie-Galante
Intéressante l’opposition entre milè = mulet et milèt (on précise toutefois que l’on dit aussi parfois milè) = mulet (poisson). Que dire de la prononciation du « t » dans le deuxième cas : est-ce une séparation progressive de deux homophones, peut-on y voir pour le poisson une arrivée en provenance de la Bretagne (où l’on prononce couramment effectivement des mots se terminant en « -et » comme « juillet », en faisant sonner le « t ») ?
Minoté = après avoir précisé peu usité, M.B. ne donne qu’un exemple : Minoté a dé fil rouj : attaché avec deux fils rouges.
Mirèt – Longue lampelle de bambou mise en forme pour faire de la vannerie…
Miy = Maïs
Montransé = faire des remontrances
Montyontyon = petit coléopètre (mite)
Mouchèt = pièce de fer qui se met dans les naseaux du bœuf.
Moulé = mâcher (sens spécifié à côté de l’autre plus classique = moudre)
Nansou = qualité d’une certaine étoffe de coton bleu
Paraka = « pomme cooli » (momordica)
Paspartou = grande scie égoïne
Pichot = tourbillon d’air ; trombe d’eau sur la mer
Piaka = Etat de la banane ordinaire cueillie très petite pour la faire cuire, épluchée elle n’est guère plus grosse que le petit doigt.
Pyay = « piailles », sorcellerie (surtout à base d’objet)
Pyo = juste une expression : Vant an mwen pyo = mon ventre crie famine.
Rouziné = bruiner
Syam = cochon rouge (peu usité)
Syap ou Syak = instrument de musique fait avec un tronçon de bambou aux nombreuses petites entailles parallèles que l’on frotte avec un petit bâton court.
Tronsé = couper en tronçons, en morceaux.
Tyak = tiède

[Nous laissons de fait encore côté quantité de mots ignorés de Ludwig et al. et nous reprenons plus complètement vers la fin de l’alphabet à partir de V.]

Vyolon qui certes désigne l’instrument de musique bien connu, mais également (sens 2 chez Barbotin) une « Pièce de bois qui renforce la fixation sous le banc que traverse le mât du canot. Mété kat vyolon an ban la : Mets quatre renforcements au banc du mât. » (p. 224)

Wayak – Espèce de poisson de prairie sous-marine

Wayal – Direct, franc

Wil – Roue de barre du gouvernail. [et Maurice Barbotin précise « Un des très rares mots venus de l’anglais : wheel », sans doute pour calmer les ardeurs des anglomaniaques qui voient de l’anglais partout dans le créole des Antilles.]

Yabè – Muet ; sourd-muet, n’émet que des sons inarticulés. I pè pa i ou ayen, i yabè : Il ne peut rien te dire, il est sourd-muet.
[Ludwig et al. mentionne (noter la prononciation différente) « Yabé = imbécile »]

Qui, dans les jeunes générations, y compris de « créolistes » curieux, connaît tous ces mots ?

Leur intérêt, y compris dans le cas des mots techniques, est considérable. Il est important de ne pas laisser perdre ces formes, de les laisser disponibles ne serait-ce que pour des réutilisations plus contemporaines : au moment où l’on se pose la question de la constitution de vocabulaires techniques, même dans d’autres domaines que ceux qui sont représentés dans le cadre de cette vie maritime et rurale à Marie-Galante, il n’est pas négligeable de savoir que l’on dispose de termes qui, par métaphores ou métonymies, peuvent servir à désigner des réalités qui peuvent être différentes de ce qu’elles étaient à l’origine, mais en dénaturant infiniment moins la langue que ne le font des emprunts purs et simples au français, ou des néologismes, inspirés des dérivations françaises au préjudice de procédés plus conformes aux habitudes lexicales créoles.

Cette analyse du dictionnaire de Barbotin est également intéressante pour comprendre les procédés de création populaires et déterminer leur productivité réelle (cf. par exemple ci-dessus le terme « ankofré » utilisé pour « mettre dans le cercueil », c’est-à-dire effectuer la mise en bière).

Il est important encore de souligner que dans ce lexique - même si nous n’en donnons que des exemples très limités ici - on rencontre beaucoup plus de mots dont visiblement l’origine est non française qu’en guadeloupéen « continental ». Il serait intéressant de les étudier dans cette nouvelle perspective : on retrouverait sans doute davantage de sources africaines puisque le créole de Marie-Galante a été longtemps, plus que le créole des îles principales de la Guadeloupe, protégé d’influences francisantes - ceci en raison toujours de l’isolement de l’île, d’une moindre fréquentation scolaire, d’une moindre francisation, d’un usage du créole maintenu au quotidien pour parler de toutes les réalités.

Pour inciter les chercheurs à recourir plus souvent au Barbotin – pour toute la zone caraïbe d’ailleurs car précisément à date ancienne des créoles maintenant largement séparés étaient beaucoup plus proches –, il était souhaitable dans cette courte note, de dire l’intérêt pour tous d’une telle fréquentation. Beaucoup d’entrées brièvement présentées ici n’ont pas été reprises dans Tourneux et Barbotin 1990, aucun des mots cités ne figure dans Ludwig et al., 1990, puisque c’est précisément par rapport à ce dictionnaire que nous avons fait nos choix de citations. Il était donc important, en les mentionnant à titre d’exemples, d’inviter les chercheurs à découvrir ce dictionnaire. Pour notre part en tout cas, le choix est fait, et « de main nocturne et journelle » [17], nous continuerons à feuilleter le Barbotin.


[1] Maurice Barbotin, 1995 : Dictionnaire du créole de Marie-Galante, Kreolische Bibliothek, vol. 15, Helmut Buske Verlag Hamburg, 231 p.

[2] Marie-Galante est l’une des îles de l’archipel guadeloupéen ; elle est séparée de ce que l’on appelle parfois « le continent guadeloupéen » (les deux îles principales qui sont reliées entre elles par un pont de quelques mètres qui passe sur « la rivière salée », Grande Terre et Guadeloupe proprement dite, appelée improprement Basse-Terre), par un « canal » de 25 km, bras de mer où la navigation n’est pas toujours aisée - ce qui explique le relatif isolement de l’île et de ses habitants.

[3] La première véritable installation de colons et de quelques esclaves dans l’île date de 1648 (mais des Caraïbes vivaient dans l’île et y ont laissé des traces) : il s’agit de colons venus de Guadeloupe d’abord en petit nombre puis de façon plus importante à partir de 1665. Voir à ce propos l’introduction au Dictionnaire du Père Barbotin sur « Le langage à Marie-Galante ».

[4] Maurice Barbotin dit clairement dans son introduction : « Cet isolement quasi total a continué jusqu’en 1960. Quand nous sommes arrivé à Saint-Louis, en 1951 il n’y avait pas cent personnes étrangères à l’île à y venir dans une année. Dès cette époque nous avons commencé à récolter en fichier le vocabulaire, en ayant soin de faire de nombreux recoupements pour contrôler la phonétique et la sémantique. Longtemps seul métropolitain dans la commune nous étions en situation privilégiée. » (p. 19). Il ajoute d’ailleurs :
« Avec une connaissance superficielle de la situation certains disent : « le créole de Marie-Galante est à peu près le même que celui de la Guadeloupe. » C’est vrai, les échanges sont maintenant très nombreux entre ces deux îles, chaque jour bateaux et avions transportent de nombreux passagers ; l’originalité linguistique de Marie-Galante est très atténuée. Mais dans ce dictionnaire nous présentons le langage tel qu’il était parlé il y a cent ou cent cinquante ans. N’importe qui peut travailler sur le créole actuel, le meilleur linguiste ne peut plus maintenant retrouver ce créole ancien, d’où le très grand intérêt de cette publication. » (p. 19) Voilà résumé le sens de cette brève note que nous avons rédigée, car nous témoignons précisément par là du très grand intérêt de cet ouvrage pour toute personne qui s’intéresse au créole dans une perspective historique.

[5] Il s’agit de la parodie en créole du Devin du village de Jean-Jacques Rousseau.

[6] Cf. Camier, Bernard et Hazaël-Massieux, Marie-Christine, 2003 : « Jeannot et Thérèse de Clément. Un opéra-comique en créole à Saint-Domingue au milieu du XVIIIe siècle » : Présentation historique : Bernard Camier ; Restitution du texte et notes linguistiques : Marie-Christine Hazaël-Massieux, in Revue de la société haïtienne d’Histoire et de Géographie, n° 215, avril-septembre 2003, pp. 135-166.

[7] Bichi précisément ne figure pas parmi les entrées du Tourneux et Barbotin !

[8] Une mention du terme dans le Haitian Creole-English-French Dictionary d’A. Valdman, 1981, en donne une interprétation assez différente - « en vain » (?) -, qui ne cadre pas exactement avec le contexte du mot dans la pièce – sans doute à cause d’une évolution sémantique qui fait que l’usage actuel, s’il s’est prolongé en Haïti, est assez différent de la signification originale. On continue bien sûr à s’interroger sur l’origine de ce terme qui visiblement ne vient pas du français et serait peut-être à chercher dans une langue africaine ? L’assimilation par Moreau de Saint-Méry de « bichi » au « tchip » fameux des Antilles (de fait un clic labio-dental approximativement représenté par cette syllabe « tchip ») ne nous semble pas résister à l’analyse.

[9] On verra l’ensemble du texte de cette chanson créole (M.L.E. Moreau de Saint-Méry, Notes historiques, Archives d’Outre-Mer, F3, vol. 132, 31-2) dans l’article de Deborah Jenson, « Poésie béké, poésie esclave, ou poésie de la polyphonie coloniale ? Les enjeux de la voix dans la première anthologie poétique créole », publié dans l’ouvrage à paraître sous la direction de M.C. Hazaël-Massieux et Michel Bertrand, : Langue et identité narrative dans les littératures de l’ailleurs (Antilles, Réunion, Québec), Publications de l’Université de Provence.

[10] Ce qui atteste de l’utilisation en créole à Marie-Galante d’un terme indéniablement français qui ne figure pas (plus ?) dans le Petit Robert 2000 où l’on ne trouve que « gaule ».

[11] Nous n’indiquons ici que des mots ou des sens qui ne figurent pas dans ce que nous considérons comme référence pour le guadeloupéen commun, c’est-à-dire le Dictionnaire créole français de Ludwig, Ralph, Montbrand, Danielle, Poullet, Hector, Telchid, Susanne, SERVEDIT-Jasor, 1990 (désormais Ludwig et al.), référence courante pour le créole de Guadeloupe.

[12] n.u. signifie : non compris par certaines personnes mais non usité

[13] M.n. signifie : mot nouveau. Visiblement issu de « accu » (cf. accumulateur), ce terme n’est pas mentionné dans le Ludwig et al.

[14] Probablement à rapprocher de miyonné = caresser (Ludwig et al.). Mais il nous semble intéressant de citer le sens présenté par Barbotin, même en cas de chute du « a » pour montrer comment des sens moins concrets (en l’occurrence que « caresser » proposé par Ludwig et al.) sont toujours possibles : ici « prendre par la douceur ou le côté faible ».

[15] Nous ne mentionnons ici que ce deuxième sens, très particulier, indiqué par Barbotin, les autres (1 et 3) figurant d’une certaine façon à « atout » chez Ludwig et al.

[16] Si nous reprenons ici cette entrée c’est parce que si le terme de balaou pour désigner l’Hemiramphus brasiliensis figure bien dans Ludwig et al. (avec en sus l’indication du nom latin), c’est parce que les autres indications, comme notamment celle de « plonjé balaou » - déjà entendue aux Antilles, effectivement-, n’y figure pas.

[17] Selon l’expression de Du Bellay dans la Défense et illustration de la langue française.

Marie-Christine Hazael-Massieux (mchm@hazael-massieux.fr)